D’un côté, la folie Drag Race qui a initié la renaissance du drag, aux États-Unis d’abord, puis en France. Au début de la décennie 1990, après la période faste de la révolution sexuelle, cet art était en grande partie tombé en désuétude, relégué à l’obscurité de quelques boîtes de nuit et privé de sa puissante dynamique politique. Ces quinze dernières années, la franchise américaine a propulsé de nouvelles queens en prime time sur les plateaux de télévision, en vitrine des librairies et en majesté sur les réseaux sociaux.
De l’autre, un foisonnement de pratiques, plus expérimentales et radicales, qui repoussent les frontières du drag. Elles sont portées par des queens qui s’écartent d’une féminité parfaite ou exacerbée, des kings qui jouent avec les codes de la masculinité ou des “créatures” qui brouillent les lignes. Dans les cabarets, dans les bars, dans les manifestations ou dans l’intimité des chambres, le mouvement compte dans ses rangs de plus en plus de personnes trans et non-binaires, ainsi que des femmes.
Ces deux visages du drag sont réunis dans un vaste mouvement sociétal de remise en question des stéréotypes de genre, et donc dans ce numéro. Après un dialogue entre Paloma et Le Filip – deux des trois dernières gagnantes de Drag Race France – en guise de flamboyante entrée en matière, ce dix-septième opus de Sphères prend des chemins de traverse pour explorer la communauté drag. En Ouganda, en Italie et sur l’île de la Réunion. Auprès de kings, de freaks et de queens non-binaires. En suivant le fil de l’humour, de la littérature, du cinéma et même de contes pour enfants. On y parle exaltation d’être sur scène, quête d’identité, inquiétude face à la répression, famille de substitution. On y parle, partout, de politique. Ainsi vont les drags.
Ce numéro est une invitation à les suivre, en vous laissant guider par leurs couronnes. C’est facile : elles brillent.
Paloma et Le Filip : Les joyeuses de la couronne
Paloma, rousse flamboyante et première Française à porter la couronne de Drag Race, balance des références culturelles à la pelle, a des airs de Rossy de Palma et se décrit comme une “queen sympathique”. Sous la perruque, Hugo Bardin est un Clermontois de 33 ans, comédien et réalisateur. Le Filip, blonde chic et froide, est une reine du stand-up et du shade. Punk qui joue la conservatrice, elle a connu une scène drag underground, évoqué sans fard son addiction à l’alcool et aux drogues durant Drag Race 3, et se décrit comme “la femme de l’Est la plus à l’ouest”. Son dragname est son prénom au civil. Filip, 29 ans, est né à Zagreb, en Croatie.
Entre éclats de rire, coups de gueule et gorgées de bières fraîches, les deux queens discutent politique et rapport au drag, mais aussi homophobie, cinéma et poids de la couronne. Cette dernière a beau être lourde de responsabilités, elles la portent avec joie.
L'île émergente
Encore peu nombreuses sur l’île de La Réunion, les queens cherchent à y développer un drag ancré dans le territoire, affranchi de celui pratiqué dans l’Hexagone. Leur projet se heurte toutefois à l’hostilité de certaines régions, à l’enclavement et au manque de moyens.
Roi de coeur
Roi danseur franco-vietnamien au charme magnétique, Levo Evolove ne pratique le drag que depuis un an et demi mais s’impose déjà comme une figure montante de la scène king parisienne. Sans domicile fixe, il trimballe sans broncher ses valises et son parcours de vie cabossé dans la capitale et enchaîne les performances salvatrices.
Le drag ne s'habille pas qu'en Prada
À Milan, capitale italienne de la mode et de la finance, s’articule un courant underground, foutraque et punk, engagé aussi bien contre l’uniformisation du drag que pour la défense des droits LGBT+ face au gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni. Reportage.