Les pèlerins croisés au fil de nos pas partent pour renouveler leur foi, pour panser leurs blessures de vie, pour rendre hommage à un lieu, honorer une personne ou participer à un événement dans la ferveur collective. La marche, leur activité phare, provoque souvent chez eux comme une révélation. Elle dénoue les pensées, rapproche de la nature, instaure une lenteur oubliée, répare, enfin, les âmes écorchées.
Les pages qui suivent sont une invitation à marcher dans leurs pas.
Grand entretien : Jean-Christophe Rufin
Il a un CV long comme un tronçon de GR65. Médecin, humanitaire, conseiller ministériel, ambassadeur, académicien et bien sûr, écrivain. Parmi ses livres, Immortelle Randonnée (2013) se distingue par son caractère autobiographique. Dans ce récit fleuve d’une expédition vers Compostelle, Jean-Christophe Rufin trace son sillon entre détails prosaïques sur les vicissitudes du pèlerin, parcours introspectif, considérations historiques et itinéraire spirituel. Le succès est immense, faisant de son auteur l’ambassadeur des milliers de jacquets modernes qui se sont précipités dans ses pas après avoir lu ses lignes.
Loin d’être habité par la foi, cet amateur d’alpinisme est plus attiré par les cimes de ses montagnes de Savoie que par les cieux. Et ses plus de trois semaines passées sur le Camino del Norte en 2011 restent à ce jour sa seule expérience pèlerine. On pourrait croire à un malentendu, à moins que cette position en surplomb – celle de l’écrivain – soit justement la raison de l’écho rencontré par son expérience du Chemin. Une attitude qui lui permet d’analyser les motivations du pèlerin, d’ironiser sur ses angoisses et son entêtement, de comprendre enfin l’engouement pour les pèlerinages dans un monde sécularisé, obsédé par la vitesse. Avec humour et finesse, Jean-Christophe Rufin découpe, dans la silhouette du pèlerin rêvé, celle du pèlerin réel.
Reportage, portrait, analyse, témoignages…
À lire dans ce ce numéro : une carte blanche à Paolo Rumiz, écrivain et homme-montgolfière ; un portrait croisé sur la caminothérapie : Christian Vince s’est lancé sur les chemins après avoir perdu son fils ; Anne Robbes, après avoir vécu une rupture traumatisante avec son mari ; un grand reportage en Turquie, où la petite ville d’Hacibektas accueille des centaines de milliers de fidèles tous les ans pour un rassemblement mêlant festival culturel, pèlerinage religieux et meeting politique ; ou encore une immersion avec une adolescente accompagnée par l’association Seuil, qui offre chaque année à une quarantaine de jeunes la possibilité d’une réinsertion à travers la marche.
La marche ou la marge
L’association Seuil offre chaque année à une quarantaine de jeunes en difficulté la possibilité d’une réinsertion à travers la marche. Marginalisés, rencontrant des ennuis avec la justice et parfois incarcérés ou en passe de l’être, ces adolescents de 14 à 18 ans acceptent de cheminer plusieurs centaines de kilomètres sur deux ou trois mois, sans téléphone portable ni musique mais avec pour escorte permanente un professionnel chargé du bon déroulement de leur aventure. Pendant deux jours, nous avons emboîté le pas à Sam, 16 ans, et Nolwenn, son accompagnante.