Ce numéro arpente les sentiers des Pays de Savoie, c’est-à-dire de deux départements qui ne sont pas toujours ravis d’être présentés sous la même bannière. Pourtant, Savoie et Haute-Savoie partagent la montagne, qui occupe plus de 85% de leur territoire, et une langue régionale qu’on appelle arpitan, francoprovençal ou tout bonnement patois, certes peu parlée, mais encore bien présente dans les esprits. Leur histoire récente est traversée des mêmes événements, toutes deux ayant été marquées par une diaspora vers Paris ou l’Amérique au XIXe siècle, ainsi que par un rattachement récent à la France, en 1860. Autant de points communs qui nous ont convaincus qu’en dépit des piques, blagues, moqueries que les habitants des deux départements s’envoient les uns aux autres, il était justifié de les traiter comme une seule et même entité.
L’identité locale, ici, ne se manifeste pas par une fierté exubérante. Diffuse, composite, elle se révèle une fois assemblés tous les carreaux de sa mosaïque. En mettant bout à bout l’attachement à la gastronomie locale, l’amour des sports de grimpe et de glisse, l’endurance d’un climat parfois hostile et mille autres fragments, on distingue la silhouette d’un peuple discret et tenace que la proximité de la montagne a modelé. Un peuple que ce numéro se propose d’explorer.
Entretien croisé : Catherine Destivelle et Jean-Christophe Rufin
À 62 ans, Catherine Destivelle, après avoir été championne d’escalade, après avoir gravi en hiver et en solitaire les trois mythiques faces des Alpes que sont l’Eiger, les Grandes Jorasses et le Cervin, s’est installée aux Houches et dirige aujourd’hui les éditions du Mont Blanc, spécialisées dans les ouvrages de montagne. Quant à Jean-Christophe Rufin, il est entré en littérature après avoir été médecin d’hôpitaux, et l’est resté ensuite à travers ses différentes fonctions, entre autres président d’Action contre la faim et ambassadeur de France au Sénégal. Lui aussi passionné d’escalade, le septuagénaire réside dans une maison au pied du Mont-Blanc, acquise il y a vingt ans.
Elle a grandi à Paris, lui à Bourges, mais tous deux sont Hauts-Savoyards d’adoption. C’est donc naturellement qu’ils discutent, au cours de cet entretien croisé, de la question épineuse de l’identité, tentant de mettre le doigt sur les différents éléments qui forgent le caractère local. Ce qui les amène à évoquer leur intégration, leur relation à la montagne, leur tristesse devant les effets du réchauffement climatique… et l’importance du reblochon.
Reportage, portrait, analyse, témoignages…
À lire dans ce numéro : Carte Blanche à Alexis Pinturault, détenteur du record français de nombre de victoires et de podiums en ski alpin ; plongée dans la fabrique des championnes de ski alpin ; immersion dans la famille Bouvier, restaurateurs étoilés de père en fils ; retour sur la grève générale de Cluses en 1904, un fait divers qui a marqué la région ; portfolio à la fonderie Paccard, fabricant de cloches à la renommée mondiale, ou encore reportage avec les nouveaux défenseurs du patois.
Les Glières, lieu de mémoire et arène politique
Des centaines de maquisards y livrèrent bataille en 1944, aujourd’hui ce sont des associations et des politiciens qui s’y écharpent. Depuis 2007 et la venue de Nicolas Sarkozy, le plateau des Glières est le théâtre d’une lutte entre deux camps : ceux qui défendent la Résistance comme un mouvement ancré à gauche, et ceux qui la voient comme une union de toutes les sensibilités politiques. Chacun veut modeler ce lieu de mémoire selon sa propre vision de l’Histoire.