
Dessinatrice illustrée
Carte blanche à la dessinatrice Coco.

Chez Charlie Hebdo comme chez Libération, Coco – Corinne Rey de son vrai nom – aime, rit, crie, rage par le dessin. Dans Dessiner encore (éd. Les Arènes), son premier ouvrage paru en mars 2021, la caricaturiste de 39 ans raconte son expérience de l’attentat de janvier 2015 et sa vie avec le traumatisme. Pour en guérir et surtout pour ne jamais oublier, elle s’est tatouée deux croquis de Charb et Tignous, ses mentors assassinés par les frères Kouachi. Depuis, d’autres motifs ont fleuri sur sa peau. Toujours des dessins. Pour elle, ils parlent mieux que les mots.
Il y a un côté un peu kitsch dans la symbolique du tatouage. Mon premier, je l’ai eu en 2013. Perdue dans une librairie, je suis tombée par hasard sur un livre en anglais intitulé Forever the new tattoo (Gestalten, 2012). Un cœur était dessiné sur la couverture, un vrai, avec ventricules, veines et artères. L’image était forte et belle, elle m’a parlé et émue. J’ai acheté le livre, j’ai réinterprété ce cœur en adoucissant légèrement ses traits et je suis allée voir un tatoueur, à Paris. Il y avait quelque chose de moi dans cette image, le cœur à vif, le cœur qui s’emballe, de peur, de joie. Voilà : symbolique, kitsch, et un peu cucul aussi.
Après l’attentat du 7 janvier 2015, je me suis fait tatouer un dessin de Charb, puis un autre de Tignous dans la foulée. Ils ont été assassinés. Les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient des modèles pour moi. Alors j’ai gravé deux de leurs créations sur mon bras gauche. L’une représente Maurice et Patapon, le chat et le chien inventés par Charb. Et l’autre un Panda tel que les dessinait Tignous. De cette façon, étant droitière, je peux toujours les voir : ils sont au-dessus de la main qui tient la feuille de papier, quand l’autre dessine. C’est un acte mémoriel qui me suivra jusqu’au bout, une façon de dire que je ne les oublierai jamais, aucun d’entre eux, aucun des disparus des 7, 8 et 9 janvier 2015.
On m’a dit que ces tatouages étaient une manière de m’infliger une blessure physique, parce que j’avais survécu à l’attentat sans être blessée. Il y avait bien la volonté de ne pas oublier, de graver quelque chose dans ma chair, mais la blessure est là quoi qu’il en soit, invisible, et n’en finira pas. Je vis avec, comme je vis avec leurs dessins sur ma peau.
Aujourd’hui, il y a aussi sur mon bras trois dessins de ma fille. Un soleil, un petit pâtissier et un escargot. D’autres encore : Simon, le lapin de la dessinatrice Stéphanie Blake, celui qui dit « Caca boudin » et que ma fille aimait tant quand elle était petite. Et une mouette dessinée par Hugo Pratt dans Corto Maltese, parce que je suis fascinée par le monde animal.
Je vais probablement aller jusqu’à me faire tatouer un peu l’épaule, puis je m’arrêterai. Je n’exhibe pas mes tatouages à tout prix, j’aime aussi quand ils sont cachés. Ils indiquent que je suis dessinatrice, mais sans l’annoncer comme le ferait une carte de visite. Le dessin est ce qui me singularise et m’imprègne. C’est la passion de ma vie, mon métier, mon loisir, mon monde imaginaire, ma façon de m’indigner, de rigoler, de parler. Les tatouages que je porte, je les aime et je veux les garder pour ce qu’ils sont : du dessin.
Coco