Hurricane
Surnommé Hurricane (« Ouragan ») sur le ring, le boxeur américain Rubin Carter est arrêté en 1966 puis condamné à la prison à la perpétuité pour des meurtres qu’il assure n’avoir pas commis. Les témoignages qui l’incriminent sont douteux, le jury qui le juge est entièrement blanc. Touché par son histoire, Bob Dylan écrit la chanson Hurricane, qui appelle à sa libération et rencontre un immense succès.
John Artis aimait danser. Rubin Carter aimait boxer. Ce soir de juin 1966, ils se rendent dans un club à Paterson, dans le New Jersey. John danse, Rubin reste au bar. À deux heures trente du matin, le lieu s’apprête à fermer. À deux heures trente-quatre, la police reçoit un signalement pour une fusillade au Lafayette Bar & Grill, à quelques mètres de là. Deux hommes noirs sont rentrés et ont tiré sur quatre Blancs, faisant trois victimes. C’est rapide et sanglant. Peu après, John et Rubin sont arrêtés par la police avec, dans leur voiture, une arme et des munitions correspondantes. L’unique survivant de la tuerie ne les identifie pas comme étant les meurtriers. Mais deux petits malfrats locaux jurent les avoir vus s’enfuir du bar.
Ainsi débute l’histoire, ainsi débute la chanson. Celle écrite par Bob Dylan qui, sur la scène du Music Hall de Boston en 1975, l’introduit ainsi : « Ce titre s’appelle Hurricane. Si quelqu’un ici a le moindre poids politique, il peut peut-être nous aider à faire sortir cet homme de prison. » Sept ans plus tôt en effet, Rubin Carter a été condamné à la prison à perpétuité par un jury entièrement blanc. Il sera incarcéré dix-neuf ans au total – quinze pour Artis – avant qu’un juge fédéral estime que le jugement a été « marqué par le racisme plutôt que par la raison, et par les dissimulations plutôt que par les révélations ».
Passé violent
N’étant pas un ange, Rubin Carter faisait un coupable idéal. Né en 1937 dans une famille de sept enfants, il « survit » à son enfance mais bute sur les mots. « Je suis né avec un sévère bégaiement qui était comme une prison, expliquera-t-il des années plus tard. Quand des gens se moquaient, l’unique son qu’ils entendaient de moi était celui de mon poing sifflant l’air dans leur direction. » Il fait alors partie d’un gang de gamins violents et tapageurs, The Apaches. À douze ans, il est envoyé dans un centre pour mineurs pour avoir poignardé un homme qui lui aurait fait des avances. À dix-sept il s’évade et rejoint l’armée. Il y découvre la boxe.

De retour chez lui en 1956, il passe par la case prison du fait de son évasion, puis écope à nouveau de quatre ans d’incarcération pour des vols avec violence. Il en profite pour s’entraîner et entame, à sa libération, une carrière fulgurante chez les mi-moyens. Il devient Rubin « Hurricane » Carter, l’Ouragan, du fait de la furie ininterrompue de ses coups. Sur quarante combats, il compte vingt-sept victoires dont vingt par KO. En 1964, il passe à côté du titre mondial pour une défaite au quinzième round. Quand les promoteurs exploitent sa réputation sulfureuse, il fanfaronne. Sur fond de violences raciales, il fait scandale en soutenant le mouvement Black Power et en déclarant que « la population noire doit se protéger avec des armes à feu contre l’invasion tyrannique des quartiers noirs par des flics blancs ». Il est le coupable idéal.
En 1974, Bob Dylan, qui a été boxeur amateur dans sa jeunesse, ne fait plus dans les protest songs. Mais quand il reçoit l’autobiographie que Rubin Carter a écrite derrière les barreaux, il décide de lui rendre visite, passe une journée avec lui à la Trenton State Prison, et revient avec une idée de chanson. Ce sera Hurricane. Contre ce qu’il considère être une erreur judiciaire, il lève des fonds pour financer des recours et organise d’énormes concerts en présence de personnalités telles que Mohammed Ali. Ils sont ainsi des milliers, au cours des plus de huit minutes que dure ce titre devenu célèbre, à entendre le refrain : « Voici l’histoire de Hurricane, / L’homme que ceux qui nous gouvernent ont accusé / Pour une chose qu’il n’a jamais faite. / Mis entre quatre murs, alors qu’il aurait pu / Être champion du monde. »
Simon Rossi