« Le cheval de Fantasia » par Delphine Warin
La photographe s’est rendue au Maroc pour documenter la reprise en main de la « tbourida » par les femmes. Histoire d’une photo.
Là, au cœur de la forêt, une scène énigmatique se dévoile : un cheval barbe prêt pour la fête, paré de tissus verts et jaunes, qui rappelent les arbres qui l’entourent et le foin à ses pieds. C’est une apparition, un instant saisi dans la confusion des préparatifs d’une festivité locale à Dar Essalam, au Maroc. L’image n’explique rien, ne parle pas : elle est, comme un fragment muet aux marges du réel. « Une image cadeau, raconte la photographe Delphine Warin, à l’origine de ce cliché. Un instant qui s’offre spontanément à moi, hors du reportage, hors de la veine documentaire de mon projet. Comme si le cheval avait choisi, lui, le moment de se révéler à mon regard. »
Partie de Marrakech quelques jours plus tôt, l’artiste n’est pas sur son terrain habituel. Bruit, couleurs, vitesse : tout contraste avec la lenteur contemplative qui a caractérisé son approche photographique jusque-là. Ici, les gestes sont rapides et précis. Et le temps file : la photographe doit documenter tout ce qu’elle peut de la reprise en main par des femmes de la tbourida, ou fantasia en arabe marocain. Cette discipline traditionnellement masculine simule une charge de cavalerie de guerriers arabes et berbères. Dans quelques instants, mousquets pointés vers le ciel, les cavalières galopant en ligne devront synchroniser leurs tirs pour ne produire en bout de course qu’un seul coup de feu, sec et puissant. Depuis les tribunes, les cris de la foule désigneront l’équipe gagnante.

Mais pour l’instant, Delphine Warin assiste aux derniers instants de préparation. Les cavalières sont rassemblées sous les tentes : elles ont le regard fixe, l’oreille attentive aux dernières consignes de leurs coachs. L’adrénaline monte. Dehors, l’air s’emplit d’odeur d’encens, de hennissements impatients, suivi de coups de sabots sur le sol pour chasser les mouches. Les chevaux barbes, une race originaire du Maghreb, sont prêts. Les palefreniers les ont habillés avec un soin presque cérémonial : selles, couvertures finement brodées à la main, brides ornées de détails qui mêlent dorures et fils colorés.
L’image que capture Delphine Warin à ce moment représente le calme avant la tempête. L’instant figé avant l’explosion de la charge. Elle symbolise aussi la paix, l’harmonie profonde entre les cavalières et leurs montures. Et dévoile, en creux, l’histoire d’un cheminement : celui de femmes qui, dans le tumulte des traditions, s’imposent avec courage et détermination. Elle révèle sans expliquer, suggère sans enfermer, laissant au regard le soin d’écouter ce que le silence raconte.
Alessandra Chiericato