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Lucas Bidault le

Voyage au bout du luxe

Le 20 mai 1977, le célèbre Orient-Express partait pour son dernier aller-retour Paris-Istanbul avant d’être démantelé. Depuis, LVMH, via sa filiale Belmond et son train de prestige, le Venice-Simplon-Orient-Express, utilise la nostalgie de ce mythique train de nuit en proposant une expérience de voyage toujours plus luxueuse. Récemment, le groupe Accor a annoncé concurrencer Belmond en mettant sur rails son propre Orient-Express.

Monter à bord de l’Orient-Express s’apparente davantage au séjour longue durée dans un palace mobile qu’à l’Interrail des années Erasmus. Certes, la taille des voies de chemin de fer rend les wagons-suites quelque peu exigus, mais le confort sur place n’a rien à envier aux plus grands hôtels. Son ticket d’entrée non plus. Pour passer une nuit dans le Venice-Simplon-Orient-Express, train de prestige appartenant à l’entreprise britannique Belmond, filiale du groupe LVMH et actuel seul exploitant faisant rouler un train siglé « Orient-Express », le voyageur doit débourser environ 3.500 €. À ce prix-là, un chauffeur vient vous chercher à domicile, un dîner pensé par le chef étoilé Jean Imbert, à la tête des cuisines du palace parisien Le Plaza Athénée, vous est servi, et trois voitures-restaurants et un bar ambiance Années folles, ouvert toute la nuit, vous sont mis à disposition. Bien que seules deux voitures proviennent du train originel, dont le dernier trajet Paris-Istanbul remonte à 1977 et qui a été démantelé depuis, les billets trouvent preneurs : le Venice-Simplon-Orient-Express est complet plusieurs mois à l’avance et son dernier chiffre d’affaires est en hausse de 28% par rapport à 2022, explosant les records des années précédentes.

« L’Orient-Express est un nom connu de tous qui a une très forte capacité d’appel », explique Ottavia Palomba, responsable communication chez l’agence Karla Otto, en charge du Venice-Simplon-Orient-Express pour Belmond. Son passé prestigieux véhicule un imaginaire haut de gamme, glorifié par des générations d’écrivains, à l’instar du Wagon-lit (Gallimard, 1932) écrit par Joseph Kessel ou du fameux Crime de l’Orient-Express (Collins Crime Club, 1934) d’Agatha Christie. Pour la marque anglaise, c’est autant de travail et dépenses marketing en moins. Inévitablement, cette poule aux œufs d’or a fait naître quelques convoitises. Le groupe Accor s’y intéresse depuis plusieurs années et la jeune start-up ferroviaire française Midnight Trains va lancer une offre d’hôtels haut de gamme sur rails. « C’est un très bon signal que d’autres acteurs nous rejoignent sur ce secteur, ça dit quelque chose de la désirabilité de ce format de voyage », s’enthousiasme, sans trop y croire, Ottavia Palomba. En général, trois trains sur la même voie, ça crée au mieux du retard, au pire un carambolage. 

© Belmond / LVMH
© Belmond / LVMH

 « Le roi des trains, le train des rois »

Surnommé « le roi des trains, le train des rois » depuis la Belle Époque, l’Orient-Express est inauguré en octobre 1883, en Gare de Strasbourg — l’ancien nom de la Gare de l’Est — devant une foule de personnalités venues se presser sur le quai pour découvrir les révolutionnaires voitures-lits et voitures-restaurants. Né sous l’impulsion de l’industriel belge Georges Nagelmackers (1845-1905), avec l’aide du roi des Belges Léopold II, le Train Express d’Orient, rebaptisé plus tard Orient-Express, rallie depuis Paris le terminus majestueux de Constantinople en quatre jours, là où il en fallait quinze en liaison maritime. Fastueux et aussi confortable qu’un paquebot transatlantique — une volonté de Nagelmackers —, l’Orient-Express n’est toutefois pas à la portée de tous : pour monter à son bord, il faut débourser la moitié du salaire annuel d’un ouvrier qualifié. Pendant 80 ans, il sillonne l’Europe, s’arrêtant dans plusieurs grandes villes européennes : Vienne, Venise, Budapest. Il connaît un violent coup d’arrêt après la Seconde Guerre mondiale, suite au développement de l’aérien. La Compagnie Internationale des Wagons-Lits, qui exploite l’Orient-Express, est contrainte de le démanteler et de vendre ses wagons. Le 20 mai 1977, il part pour son dernier aller-retour Paris-Istanbul.

Dans le même temps, l’homme d’affaires américain James Sherwood, fondateur de la marque Belmond, s’offre l’hôtel Cipriani à Venise. Flairant la bonne affaire, il acquiert deux voitures, alors en piteux état, du mythique train lors d’une vente aux enchères en 1977, le roi du Maroc obtenant les deux autres. En cinq ans, il en achète une quinzaine d’autres auprès de différents collectionneurs et met en place, en bénéficiant d’une licence longue durée auprès de la SNCF, son Simplon-Venice-Orient-Express, circulant à partir de 1982 entre Londres, Paris et … Venise. Respectueux du faste d’antan, le luxe y est présent un peu partout. Pascal Deyrolle, DG de la ligne pour Belmond, rend compte de cette atmosphère dans une interview pour France Info donnée en juillet 2022 : « Les passagers ont le plaisir de voyager dans des wagons restaurés datant de 1929 à 1936. C’est une rame de 17 voitures, qui mesure 500 mètres et nous ne transportons que 124 passagers. » Des passagers triés sur le volet — financier — qui ont certains droits, mais aussi plusieurs devoirs : pas de jean, basket ou tee-shirt. Le soir, c’est tenue « habillée ». Et quand le luxe est à ce point partout, tout le temps, une entreprise française n’est en général pas bien loin : LVMH. En 2019, le fleuron français du luxe acquiert Belmond et ses six trains de luxe — entre autres activités — pour la bagatelle de 3,2 milliards de dollars. Manque de bol, le groupe hôtelier Accor annonce, en parallèle ou presque, lancer son train de luxe au nom de l’Orient-Express. 

© Belmond / LVMH
© Belmond / LVMH

Orient-Express, propriété d’Accor

Chose étonnante : si Belmond affiche en gros le nom « Orient-Express » sur son logo — il suffit d’observer la petite place accordée à « Venice » et « Simplon » —, la marque « Orient-Express » appartient elle au groupe Accor, qui en a acquis la propriété auprès de la SNCF, lui permettant ainsi de percevoir une redevance de la part du groupe britannique. Le leader de l’hôtellerie en France souhaite développer une nouvelle collection d’hôtels prestigieux, une compagnie de trains touristiques de luxe et le plus grand voilier au monde, le tout sous une bannière commune : « Orient-Express ». Initialement prévu en 2022, le train du groupe Accor ne sera pas mis sur rails avant 2025. Le décorateur français Maxime d’Angeac a été missionné pour transformer les dix-huit voitures avec un objectif : faire rayonner la grandeur du train mythique, « sans pour autant être dans la reproduction, plutôt dans le fantasme de ce que pourrait être l’Orient-Express de 2030 », précise-t-il. En d’autres termes : du luxe, du luxe, et un peu d’inventivité. « On a récupéré des éléments art déco des voitures transformées, poursuit Maxime d’Angeac. Les fleurs et les plaques de verre Lalique, les marqueteries… Tout ce qu’on a pu conserver, on l’a réutilisé ! Mais on a aussi essayé d’inventer ce qu’il pourrait être sans s’inscrire dans l’ère du temps. » Comprendre entre les lignes : Belmond, c’est de la nostalgie, du réchauffé.

© Belmond / LVMH
© Belmond / LVMH

Pour le prix du voyage, on repassera : dans cet univers, on ne parle pas d’argent. Maxime d’Angeac précise tout de même que le ticket d’entrée se situera « au même niveau voire au-dessus » de celui de Belmond. Surfant sur l’image positive du train de nuit et sur un secteur du luxe qui ne connaît pas la crise, la jeune start-up française Midnight Trains a décidé de se mêler à cette guerre du rail pour riches voyageurs. Cofondée par Adrien Aumont, fondateur de Kisskissbankbank, et financée par le milliardaire Xavier Niel, l’entreprise ambitionne de proposer des hôtels sur rails dès 2024, avec chambres privatives, salles de bain, films à la demande, etc. Là encore, l’idée est de repenser l’expérience du train de nuit avec des tarifs légèrement plus abordables que ceux de ses concurrents. Enfin, dernier acteur à s’immiscer dans la bataille : Railbookers. La société de voyages, spécialisée dans le ferroviaire, a poussé le vice du luxe à son paroxysme avec son « expérience ultime ». Depuis Vancouver au Canada, l’entreprise propose un tour du monde en 80 jours à bord des plus grands trains de luxe au monde. Une croisière ferroviaire faisant escale dans plusieurs villes, utilisant évidemment le Venice-Simplon-Orient-Express et le tout entrecoupé de vols pour joindre les différents continents. Bilan financier de ce tour du monde pas très écolo : 103 000 € par personne. À ce prix-là, si on se réfère au prix moyen d’un billet TGV (45 €), vous pouvez sillonner la France environ … 2 289 fois.

Lucas Bidault

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