Orly social club
À Orly, le centre équestre municipal offre aux habitants un accès privilégié au cheval dans un environnement difficile. Créé dans les années 1970 sous l’impulsion du maire communiste, le club se veut résolument populaire et social, mais bataille aujourd’hui avec une réglementation plus lourde et le désintéressement de la nouvelle génération.
Les barres d’immeuble de la cité des Saules, un petit parc dégarni, une zone d’activité impersonnelle où la cantine municipale côtoie les locaux de CFI, « L’école connectée au futur de l’industrie ». Et au milieu, une nouvelle carrière équestre que la mairie d’Orly a fait construire en 2016. Théo Ferly, apprenti moniteur de 22 ans, y donne un cours d’équitation à quatre jeunes filles. L’une d’entre elles lâche la bride de son cheval pour saluer sa mère, qui la regarde depuis le balcon de l’immeuble en face. Quelques blagues fusent, mais c’est la concentration qui prime.
Accoudés aux barrières, Mohamed, Cheick et Ismaël assistent eux-aussi à la leçon. Un peu plus tôt, ils faisaient pétarader leurs motocross dans l’herbe, tentaient de cabrer, se chambraient un peu. Ils ont coupé les moteurs à l’arrivée des chevaux pour ne pas les effrayer, mais les avions continuent de survoler la ville depuis l’aéroport tout proche. « C’est beau gosse, les chevaux, lâche l’un des garçons. Nous, on est habitués à les voir. Ça nous manquerait s’ils étaient pas là. » Parce qu’eux-mêmes montent à cheval ? « Noooon, jamais ! Enfin si, attendez, on a quand même fait un baptême d’équitation quand on était à l’école ou au centre de loisir, je sais plus. »
Tout le monde, à Orly, n’est pas passionné d’équitation. Mais il semblerait que beaucoup d’habitants aient un jour monté à cheval. Le centre équestre de cette ville du Val-de-Marne, à vingt minutes en train de Paris, est un des rares clubs municipaux de France. Un des seuls dont la gestion n’a pas été confiée, en délégation de service, au secteur privé. Un choix politique qui permet à la municipalité d’offrir aux 180 adhérents – obligatoirement orlysiens – des tarifs imbattables, adaptés aux revenus des familles : de 15 € maximum la séance à 2,50 € pour les plus modestes. Équipement fourni, sauf les bottes. En retour, le centre s’implique dans la vie locale. Il travaille avec les écoles, quand bien d’autres clubs ne s’embarrassent pas d’un public scolaire ; il s’engage avec le tissu associatif, collabore avec l’Institut médico-éducatif, et participe, depuis les débuts, à des fêtes de quartier en proposant gratuitement des baptêmes d’équitation. « Les chevaux sont l’âme de cette ville », déclare sans modération Didier Lovera, un ancien directeur de la Maison des jeunes et de la culture (MJC).
Dans les gradins qui surplombent la carrière, Élodie Penchemel est blottie dans son manteau, dont la capuche en fausse fourrure est balayée par un vent glacial. La trentenaire, qui travaille dans la grande distribution dans une commune voisine, n’a pas cours d’équitation ce jour-là. Elle est juste venue regarder. Par passion, et parce que le club est aussi un lieu de vie pour beaucoup d’Orlysiens de naissance comme elle. « Vous savez, enchaîne-t-elle, c’est une cité sensible, Les Saules. Il y a de la violence, et parfois des fusillades à cause de la drogue. Mais même quand il y a de gros problèmes dans les cités, avec des trucs qui brûlent ou qui sont abîmés, le centre équestre a toujours été respecté. Toujours. C’est grâce à l‘histoire du club, à son engagement dans la ville, et aussi grâce à Dédé. »
« Faire sauter les barrières de classe »
Il fallait vérifier ce qu’on retient du centre équestre d’Orly en terrain neutre : au bar tabac Le Fer à Cheval (c’est une coïncidence), un peu triste et poussiéreux (c’est comme ça), situé en face du centre culturel Aragon-Triolet. Un homme, debout, sirote son expresso tout en remplissant une grille PMU. Le club d’équitation, vous connaissez ? Deux amis rappliquent aussitôt :
– Si je connais ? J’ai été membre du club moi, j’y ai même travaillé.
– Moi j’ai connu la première époque, l’époque à Dédé, quand les chevaux passaient là, juste devant le bar. Quand il y avait encore un champ juste en face.
– On voyait les chevaux tout le temps dans la ville, on allait même rendre visite aux copains à cheval, devant les lotissements. Ça serait impossible aujourd’hui.
– Ah ouais, c’était autre chose. C’était grâce à Gaston tout ça.
Gaston, comme disent beaucoup d’Orlysiens, c’est Gaston Viens, maire de la ville pendant 44 ans, jusqu’en 2009. Ancien résistant et déporté, il est élu en 1965 sous l’étiquette du Parti Communiste. La légende, que lui-même a largement répandue jusqu’à son décès en 2015, démarre lors d’un camp de vacances dans le Tarn, au début des années 1970 : le maire aurait été si impressionné par le comportement des adolescents de banlieue au contact des chevaux qu’il aurait immédiatement décidé de faire venir des équidés dans sa commune.
Orly, à cette époque, est une ville dortoir, peuplée de nombreux ouvriers immigrés venus reconstruire la France d’après-guerre. On y trouvait encore une cité d’urgence, sorte de baraquements provisoires et précaires qui permettaient de gérer l’afflux de population avant l’édification de logements sociaux. Dans un tel contexte, l’ouverture d’un centre équestre au pied des cités était un symbole politique fort, et revendiqué comme tel. « Il faut avoir conscience de l’image élitiste de ce sport dans les années 1970, encore plus qu’aujourd’hui, commente Farid Radjouh, adjoint à la mairie d’Orly depuis 1983. C’était donc une démarche non dissimulée : la municipalité communiste voulait faire sauter les barrières de classe dans l’équitation. » En clair, marteler un message : peu importe vos revenus ou votre origine sociale, vous avez le droit de monter à cheval.
D’une part, il y a donc la démarche politique de Gaston Viens et de son adjoint Alain Girard. Et puis il y a ce nom, Dédé, qui revient dans toutes les conversations. Aujourd’hui retraité après une quarantaine d’années de travail au centre équestre, Dédé Ihlali vit toujours dans la petite maison grise mitoyenne des écuries, le long des rails du RER C. Pour un an encore, sa femme occupe le poste de gardienne. « Le balcon de notre chambre, à l’étage, donne directement sur les box des chevaux. Je crois que je n’aurais pas pu faire autrement… », glisse-t-il, un peu fatigué par de récents séjours à l’hôpital.
Dédé est né en Algérie, en 1951. Arrivé en France dix ans plus tard en compagnie de sa mère et de sa sœur, il termine des études de mécanique générale avant d’enchaîner des petits boulots. En 1971, au moment de la création du centre équestre, il n’avait jamais vu de chevaux. « J’étais, comme beaucoup de jeunes, adhérent à la MJC. On traînait, on discutait, on chahutait quoi. J’étais plutôt grande gueule. Et bien sûr, quand les chevaux sont arrivés, j’ai gueulé. Parce que ça puait, et parce que ça prenait beaucoup de place. Alors, le directeur de la MJC est venu me voir devant tout le monde et m’a dit : « T’as qu’à essayer d’en monter un au lieu de parler ». Je ne pouvais pas me dégonfler. J’ai fermé ma bouche, et j’y suis allé. J’ai adoré ça. »
Un cheval sur les rails
L’œil brillant, Dédé raconte son histoire. Derrière lui, le mur du salon est encombré de dizaines de photos de famille. Sur la nappe en toile cirée, un dessous-de-table représente trois chevaux, au-dessus desquels flottent des cœurs dans un ciel sans nuage. À l’écouter, on comprend que l’histoire du centre équestre d’Orly est un mélange de volonté politique, de tâtonnements enthousiastes et d’improvisations qui tombent juste. Le 3 février 1972, quelques mois après avoir monté à cheval pour la première fois, Dédé démissionne de son travail de nuit dans une boulangerie industrielle pour être employé à plein temps comme moniteur d’équitation. Il est loin de tout maîtriser, et déjà il enseigne. « Le soir, je lisais des bouquins pour potasser les cours, apprendre le bon vocabulaire. »
Il sait aussi peu de choses sur le monde de l’équitation. « Pour ma formation, je m’étais rendu dans quelques clubs. C’était suffisant pour voir, ne serait-ce qu’à la tenue vestimentaire, à la façon de parler, que ce sport n’était a priori pas fait pour nous. Mais je m’en foutais. J’avais mon monde. Celui des cités, et des jeunes qui voulaient apprendre. » Aux premières séances d’initiation, les élèves ne portaient pas de bombes. Aux premiers beaux jours, ils venaient en short et en baskets ; ils repartaient les genoux en sang. Et plus d’une fois, il a fallu récupérer des chevaux égarés jusqu’à Choisy-le-Roi, ou bien sur les rails du RER. Richard Timbert, aujourd’hui référent du centre équestre, a lui aussi connu l’insouciance de cette époque : « On traversait les champs, au temps où il y en avait encore, explique avec le sourire cette autre figure de l’équitation orlysienne, qui prendra sa retraite en 2022. Les chevaux faisaient les cons, ils étaient nerveux car on n’avait pas de paddocks. Puis on organisait des courses à côté du centre commercial, le long de l’A4… »
Les cavaliers d’Orly profitaient de leur liberté de pionniers. Et en même temps, les chevaux conquéraient la ville. Les premières écuries étaient à côté de l’église, dans la ville haute, tandis que la carrière a toujours été au niveau de la cité des Saules, dans la ville basse. Entre les deux, dix minutes au pas, sur le bitume, qui ont longtemps fait partie du paysage ordinaire des Orlysiens. Mais au-delà de ce trajet quotidien, Dédé s’est efforcé d’emmener les chevaux partout. « On a pas de forêt ici, se défend-il. Notre forêt, c’est la ville, y compris les cités. On y allait, quartier par quartier, faire des baptêmes d’équitation. Les gosses sortaient, les parents se mettaient aux fenêtres : tout le monde répondait présent. Parce que le cheval, c’est comme quelque chose de sucré, on a toujours envie d’y goûter. »
La politique dans tout ça ? Dédé jure ne s’y être jamais intéressé. Il y a bien eu la période MJC, ce grand réseau de structures d’éducation populaire hérité du gouvernement de Léon Blum de 1936 ; Dédé y a créé le bureau équestre, faisant contribuer les cavaliers et leurs familles aux grandes décisions – forme de démocratie participative locale avant la lettre. Il y a bien eu cette manifestation à Paris, à l’appel de la CGT, où les chevaux se sont mêlés au cortège pour « demander de l’argent à Giscard ». Jamais de politique ? « Ah, mais ça, c’était comme ça, balaie Dédé. On baignait quand même dans cette culture de gauche. Mais on faisait ce qu’on voulait. Je me sentais à la fois protégé et libre de mes décisions. Comme diraient les jeunes aujourd’hui : j’ai kiffé grâce à Gaston Viens. »
Merguez, parasol et chaises longues
Il a fallu vingt ans de pratique et d’apprentissage avant que le centre équestre d’Orly ne commence fréquemment à se déplacer en Île-de-France pour des compétitions. Dédé s’amuse encore du choc culturel qui se produisit : « Oh là là ! C’était parfois très guindé, très « Bonjour Madame, Bonjour Môsieur ». Dans leur esprit, ça a dû être pire que de voir un camp de romanichels débarquer quand nous sommes arrivés. Les parents, les frères, les sœurs, toute une troupe pour soutenir les gamins. » Le club a même failli être exclu par un juge tant les applaudissements et les cris de joie étaient forts au départ et à l’arrivée du parcours d’obstacles d’un Orlysien. Fort comment ? « Comme au PSG », lance Dédé dans un éclat de rire.
Autre révolution : les repas. « Je me souviens, poursuit celui qui organisait ces déplacements, il y avait des buffets qui coûtaient dix francs…mais un gosse des cités, avec dix francs, il mangeait un mois ! » Alors, pendant les compétitions du dimanche, les familles s’installent avec barbecue, chipolatas, merguez, parasols et chaises longues. « Les gens nous regardaient bizarrement au début. Mais les mentalités ont vite changé. C’est l’équitation « normale » qui s’est adaptée à l’équitation populaire, et non l’inverse. Au bout d’un moment, tout le monde a copié notre idée de barbecues, et il fallait se battre pour trouver un emplacement ! »
La greffe, semble-t-il, a pris des deux côtés. Aujourd’hui, Théo Ferly, l’apprenti moniteur, et Sabrina Abreux, monitrice de 26 ans, discutent de ce qui les sépare encore des autres clubs pendant que les élèves du cours de 17h30 préparent les chevaux. Conclusion : quand elles existent encore, les différences sont vite oubliées au profit de la passion commune pour les chevaux. Mais quand même :
– C’est vrai que beaucoup de clubs sont plus huppés.
– On est toujours un peu vus comme le ghetto (Rires.).
– Oui, mais bon, on est aussi moins prout-prout (Rires.).
– C’est vrai qu’on arrive parfois en compétition avec des bombes Décathlon quand les autres sont en bombes Antares, bien plus chères. Mais franchement, on s’en fout.
« Certains profils ont été transformés au contact des chevaux »
Reste l’environnement direct du centre équestre, que peu d’autres clubs partagent. Un seul incident, dans l’histoire récente, est lié à la proximité des cités : un jeune homme qui, pourchassé par une bande, a pu courir jusqu’à la carrière avant d’être rattrapé et tabassé à même le sol, au milieu des poneys en liberté. Trois mois de coma, pour ce qui est loin d’être une bagarre anodine, mais tout de même un fait de violence sans lien direct avec le centre équestre.
Dans les années 1980, la porosité avec les problèmes de l’époque était peut-être plus grande, en particulier concernant les drogues. « Ça a flingué une partie de notre travail, s’attriste Dédé. On s’est sentis dépassés. C’était dur de voir des jeunes arrêter de venir du jour au lendemain. Certains en sont morts. » Au cours de la même période, le fondamentalisme religieux a également fait son apparition. « Dans les années 1980-1990, Orly a été aux premières loges d’une vague d’intégrisme, notamment avec le Front islamiste du salut », se souvient Farid Radjouh. D’abord, une polémique au sujet des barbecues du centre équestre, que certains voulurent halal. Ensuite, d’après l’adjoint, il a été demandé d’instaurer des « créneaux musulmans » de pratique sportive, en séparant les filles et les garçons. « La municipalité et le club n’ont jamais cédé face à ces demandes, et les personnes concernées ont été exclues », termine l’élu. Fin de l’histoire, d’après toutes les personnes interrogées : les revendications religieuses auraient été circonscrites à ces années-là.
Voilà. Violence, drogues, religion : de quoi passer à côté de ce qu’est l’activité équestre au quotidien. Précisément, le succès de la pratique de l’équitation à Orly tient peut-être à cette proximité avec les classes populaires des quartiers alentour. « C’est sûr, si on avait été au bord du Bois de Boulogne, ça aurait été différent, remarque Richard Timbert, non sans ironie. Mais on a connu de belles histoires, notamment certains profils qui ont été transformés au contact des chevaux. » Pas de sensationnalisme, ni « rien d’automatique » – car il a aussi eu des échecs. Seulement ce long et rigoureux travail de responsabilisation qu’impose le contact avec l’animal. « On ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi avec un cheval, reprend Richard. Si on est violent, il le sera aussi : il reflète le comportement du cavalier. Il faut canaliser son énergie, être à l’écoute, savoir si l’animal souffre, en prendre soin, et pas seulement quand on le monte. Indirectement, c’est la personnalité du cavalier qui change. On l’a souvent remarqué ici. »
Pause clope devant le portail pour les filles du cours de 17h30, juste avant de s’y mettre. Discussion entre copines. L’une d’elles explique qu’elle n’aurait jamais rencontré un tel groupe d’amies en dehors de l’équitation. Une autre raconte que venir au centre équestre, c’est comme « quitter Orly, entrer dans une petite bulle en dehors de la ville ». Car le pari de Gaston Viens aura aussi été de privilégier la vie de groupe. Contrairement à bien d’autres sports, l’équitation se tient éloignée des canons habituels de rivalité et de compétition, et c’est un élément aussi important que le rapport à l’animal quand il s’agit d’apprendre la tolérance entre jeunes adultes. Mohamed Boudizane, 28 ans, est passé par beaucoup d’autres centres équestres avant de devenir moniteur dans un club francilien.
Mais c’est à Orly qu’il a découvert l’équitation et, affirme-t-il, un brassage social et culturel qu’il n’a jamais retrouvé ailleurs. Il se lance dans une estimation au doigt mouillé : « Dans les autres centres que j’ai fréquentés, ils étaient toujours très étonnés quand je leur annonçais les tarifs pratiqués à Orly, où quelqu’un au RSA peut monter à cheval s’il le souhaite. Alors que chez eux, 90% des cavaliers sont issus des classes moyennes voire aisées. À Orly, je ne dirais pas que les proportions sont inversées, mais enfin vous voyez l’idée. Et les comportements sont forcément différents. Beaucoup de cavaliers orlysiens sont tout le temps fourrés aux écuries, ils donnent un coup de main, font du bénévolat : ils ne viennent pas uniquement consommer leurs séances d’équitation. »
Adieu sorties et soirées méchoui
Le centre équestre d’Orly conserve visiblement sa vocation populaire et sociale. Mais il a aussi l’air un peu sonné. Depuis quelques temps déjà, même la jeune génération regrette que les sorties en ville se raréfient, que le club participe moins aux fêtes de quartier, ou qu’on ne puisse plus, comme au temps de leurs premières années, préparer le méchoui dans le manège lors de soirées « où les grands se mettaient des cuites à coup de cubis ». La faute, peut-être, à ce que Dédé appelle le « découragement bureaucratique ». Après la période MJC, le club a connu une phase associative avant d’être totalement municipalisé en 2007. Les investissements – paddocks, hangar à paille, nouvelle carrière – ont été très importants, mais au prix de lourdes contraintes administratives qui découragent les initiatives. Pour sortir les chevaux en ville, il faut désormais être équipé de brassards, prévenir la municipalité, avoir deux voitures qui entourent le cortège. Les familles, par prudence sanitaire, ne peuvent plus cuisiner pour tous les enfants lors des déplacements. Quant au méchoui sous le toit du manège, les nouvelles consignes de sécurité l’interdisent. « Il faut faire attention aux clichés sur la bureaucratisation, nuance Richard Timbert, mais c’est vrai que tout est plus encadré aujourd’hui ».
Et puis il y a des transformations sur lesquelles le centre équestre n’a aucune prise. Farid Radjouh en parle avec prudence, « pour ne pas essentialiser les jeunes », mais avec l’air désabusé du compagnon de route qui a connu un changement d’époque. Si « le centre équestre, tout en restant symbolique, a moins d’impact qu’avant », si « le public des cités est moins attiré par ce type d’activité », ce serait à cause du « délitement de notre société, plus individualiste, où l’on a perdu le sens du collectif ». Comme un décalage entre les aspirations des jeunes et ce que la municipalité propose.
Un constat partagé par Vincent Rebérioux, ancien directeur de la MJC, qui parle « d’une forme de repli sur soi qui est aussi une défaite politique pour la gauche française ». Il est vrai aussi que l’ancrage local est moins important qu’auparavant ; les emplois se sont tertiarisés, la population est plus mobile. De l’aveu même de l’actuel référent du club, il y a bien eu un « changement de mentalités, avec moins d’engagement collectif, moins d’élèves des cités. »Sur ce fond d’indifférence, l’équitation n’est plus révolutionnaire mais elle est bien vivante. Il y a les adhérents actuels, qui n’ont rien demandé à l’époque. Il y a la liste d’attente, toujours plus longue, pour les cours d’initiation aux enfants. Il y a enfin ce que Richard Timbert nomme la « dimension environnementale » du centre équestre, et qu’il revendique comme une mission à part entière. Pendant le premier confinement, de nombreux riverains appelaient pour savoir si les chevaux étaient sortis, s’ils pouvaient passer les voir pendant leur temps de promenade autorisé. Spectacle animal et bouffée d’air frais alors que le monde est paralysé. C’était gratuit. Accessible à tous.
Simon Rossi