 
                        « C’est le cheval, le véritable héros de l’histoire. Nous, on s’en fout !”
À 44 ans, Kevin Staut est l’un des plus grands cavaliers français. Outre son titre olympique, il a été numéro un mondial pendant plusieurs mois et est propriétaire de l’écurie qui porte son nom depuis plus de vingt ans.
 
            Entre souvenirs douloureux et merveilleux des Jeux olympiques, réflexions sur le bien-être animal et inquiétudes face à une équitation devenue trop commerciale, il partage ses réflexions sur une pratique dans laquelle le cheval reste « le véritable héros de l’histoire ».
Au cours de l’adolescence, vous avez quitté le système scolaire classique pour suivre des cours par correspondance et vous consacrer entièrement à l’équitation. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Kevin Staut : Mmh, déjà, je suis vieux, je suis de 1980. [Rires.] À l’époque, le CNED (Centre national d’enseignement à distance) était déjà très bien structuré. Il était nécessaire de passer par ce type de formation car le monde du cheval est un univers qui demande énormément de temps. Les chevaux ont besoin de présence, d’attention, de surveillance constante. Les cours par correspondance étaient donc le système parfait. J’ai quitté le milieu scolaire classique en seconde pour obtenir mon bac littéraire puis mon BTS comptabilité et gestion via le CNED. Déjà, à cette époque, je souhaitais avoir quelques notions pour créer mon entreprise. C’est un objectif que j’ai eu très tôt et en 2002, j’ai mis en place l’Écurie Kevin Staut.
Quand avez-vous compris que le monde du cheval ne serait pas qu’une passion mais votre profession ?
KS : Assez tôt je dois dire. J’adore les rapports humains mais je ne suis pas quelqu’un de très sociable. Dans la famille on a toujours eu ce bien dans lequel nous sommes en ce moment. [Il regarde autour de lui avec des yeux admiratifs.] Mon grand-père avait racheté cette propriété dans laquelle on venait les week-ends et en vacances. Il n’y avait pas d’écurie, seulement de grandes prairies avec des animaux dans les herbages. Il faut savoir qu’en Normandie, il n’y a quasiment que des vaches et des chevaux. Donc quand j’étais jeune, j’allais dans les prés pour les observer. L’animal m’a toujours sécurisé et mis en confiance. Avec un cheval, le mode de communication est plus épuré. Tout est dans la gestuelle, les mots ne transforment pas la pensée. Forcément, la communication est plus sensible, oui. Elle est aussi plus intense ! Alors, comme beaucoup de jeunes enfants, j’ai d’abord été intéressé par le métier de vétérinaire avant de me dédier aux chevaux et à l’équitation.
Malgré la présence de chevaux autour de vous, ce n’est pas un choix évident sachant que votre famille n’avait aucun lien avec le monde équestre.
KS : On peut même dire que je suis l’un des premiers cavaliers à faire du haut niveau sans venir de ce milieu-là. Normalement, c’est réservé aux grandes familles, à celles qui possèdent déjà des infrastructures, un centre équestre ou une écurie avec des chevaux de propriétaire. C’est un milieu assez fermé, réservé aux connaisseurs et à ceux qui possèdent une certaine culture du cheval. C’est notamment le cas, en France, avec des institutions très fortes comme le Cadre Noir de Saumur.

L’équitation est donc bien une pratique élitiste ?
KS : En fait, c’est un peu comme un sport extrême. Pour en faire, il faut avoir des compétences que tout le monde ne possède pas.
Et des moyens financiers également ?
KS : Il faut un peu casser cet a priori. Aujourd’hui, une leçon d’équitation d’une heure coûte le même prix que n’importe quel autre sport. Après bien sûr, si tu veux acheter ton propre cheval, ce n’est pas pareil, mais c’est la même chose si tu souhaites faire une demi-heure de karting puis faire de la Formule 1. Bon, c’est un raccourci hein ! [Rires.] En revanche, je trouve ça normal que l’équitation ait longtemps été réservée à des gens qui connaissaient le cheval avant de commencer à le monter. Aujourd’hui, on tend de plus en plus vers une équitation de loisir.
C’est-à-dire ?
KS : On veut rendre la pratique de l’équitation accessible à n’importe qui. Le vrai souci, c’est que cette équitation de loisir tend de plus en plus vers une équitation de business dans laquelle l’animal n’est plus respecté. Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir monter un cheval. Non pas pour des raisons économiques mais pour des raisons de connaissance de l’animal. Il faut le connaître pour bien le monter.
J’ai l’impression que les gens ne comprennent pas qu’il doit y avoir une prise de temps nécessaire. Ils ont payé une heure d’équitation alors ils veulent monter quoi qu’il en coûte. Tu arrives dans un centre équestre, on ne t’explique rien, on te met sur un poney ou un cheval avant même de savoir si tu sais t’en occuper ou s’il a peur de toi.
Est-ce pour cette raison que vous avez commencé tard ?
KS : Pas directement. J’ai eu cette chance de ne pas être très bon au départ, de ne pas être attiré par le fait de monter et j’ai passé des heures et des heures à pied pour comprendre le cheval. Quand j’étais gamin et que j’allais au centre équestre, on m’apprenait à manipuler le cheval, à lui mettre un licol [pièce de harnais qu’on met autour du cou des animaux attelés, ndlr]. Et donc, dès que j’ai commencé à monter, j’ai immédiatement eu des sensations aussi bonnes que celles que j’avais à pied quand j’accompagnais les chevaux. Ça, c’est la bonne logique pour moi.
Une fois adulte en revanche, le cheval a commencé à devenir une affaire familiale.
KS : Oui, mais je me suis fâché avec mon grand-père à l’âge de 18 ans. Il n’était pas du tout issu du milieu équestre et venait de construire des écuries. Il avait bien réussi dans son job et avait des facilités financières permettant d’assouvir mon loisir. Lui, il s’est pris de passion pour l’élevage. C’est devenu une encyclopédie sur toutes les lignées, les croisements, etc. En fait, il voulait utiliser cet endroit pour faire de l’élevage, valoriser les chevaux puis les revendre. Sur le papier, c’était extra mais mon grand-père n’étant pas de ce milieu-là, j’avais peur de cette collaboration qui se mettait en place à une époque où j’avais besoin d’apprendre. Je devais développer ma technique d’équitation et m’enrichir auprès de plusieurs écoles, donc je suis parti. J’ai alors commencé à travailler comme salarié pour des cavaliers, des éleveurs, des marchands de chevaux. J’ai essayé de faire un peu toutes les professions liées à l’équitation. Et à 21 ans, j’ai créé ma société tant qu’il me restait quelques notions de mon BTS. [Rires.]
Justement, en quoi consiste votre structure ?
KS : Je me suis spécialisé dans la pratique du haut niveau en équitation. Je prends le cheval d’un propriétaire et je le forme pour essayer de l’emmener au plus haut niveau. La semaine, on est entraîneur, et le week-end, on est pilote car on monte le cheval. Bien sûr, pour ça, il faut énormément d’équipes et une grosse logistique. Ce que j’aime avec l’équitation, c’est que c’est un sport-métier que tu peux faire pendant longtemps. Par exemple, les nageurs, à un moment donné, ont un ras-le-bol dans leur tête et ils perdent la passion pour leur sport. Moi c’est presque l’inverse : l’expérience a une vraie valeur ajoutée.
[Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères hors-série n°3 : les cavaliers]
 
                     
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                            