« Je voulais raconter le lien de chaque femme de couleur aux bijoux en or » – Entretien avec Mia Khalifa
La sulfureuse trentenaire libano-américaine, qui compte parmi les it-girls les plus en vogue de la planète, a lancé en 2023 sa propre ligne de bijoux, Sheytan (« diable » en arabe). Composée notamment de chaînes de ventre, chevilles et mains à des prix compris entre 70 et 300 euros, elle est pensée comme une déclaration d’amour aux bijoux en or des femmes à la peau mate.
Propos recueillis par : Louis Pisano
Quel rôle joue l’identité culturelle dans Sheytan ?
Elle joue un rôle un peu ironique. Le nom lui-même est une référence ironique à la façon dont les femmes sont insultées et dégradées au Moyen-Orient parce qu’elles sont un peu plus ouvertes et libres. Mais il reflète également la façon dont j’ai grandi dans le monde occidental et le fait que je suis une femme moderne. Ce n’est pas nécessairement une ligne de bijoux traditionnelle : notre prochaine collection, par exemple, portera sur le thème des feuilles de cannabis. Je ne suis pas une femme arabe traditionnelle, mais je suis une femme arabe. Et c’est ce que Sheytan reflète.
Quel était votre objectif en créant cette marque ?
Je voulais raconter le lien de chaque femme de couleur aux bijoux en or. Il n’y a pas une seule femme de couleur qui n’ait pas reçu de sa mère un collier transmis de génération en génération, ou un bracelet minuscule, offert quand elle était bébé et que sa mère a conservé. Les bijoux sont tellement, tellement importants pour nous… En particulier les bijoux de corps, comme les bracelets de cheville. Nous y sommes très attachées. Les seuls vrais bijoux qui n’étaient pas des bijoux fantaisie, jetables ou achetés sur Etsy étaient fabriqués par des petites filles blanches. J’apportais donc des colliers à des bijoutiers pour qu’ils les transforment en chaînes de ventre ou créent quelque chose pour moi. En fait, Sheytan est né d’une idée très égoïste, qui consistait simplement à créer les bijoux que j’apportais moi-même aux joailliers pour qu’ils les fabriquent pour moi, mais à une échelle légèrement plus grande.
Quel est le premier bijou qui vous a fait ressentir quelque chose ?
C’était la montre Cartier de ma mère – oh mon dieu, je vais pleurer. Elle avait cette montre Cartier qu’elle portait tout le temps. Chaque fois que je la voyais sur son poignet, je lui demandais si je pouvais l’essayer et elle me répondait : « Tu l’auras quand tu seras assez grande. » Elle m’a enfin laissé la porter pour ma remise de diplôme.
Mon amour pour les bijoux vient vraiment d’elle et de son appréciation pour eux. Chaque étape importante, chaque moment marquant de notre vie est marqué par un bijou. Il n’est même pas nécessaire qu’il soit cher – parfois il coûte moins de 100 dollars. Mais je me souviens qu’à chaque fois qu’elle se rendait au Liban, elle rapportait un petit bijou, souvent quelque chose qui avait la forme d’un cèdre. Je crois que ça vient de la mentalité des personnes qui ont grandi dans une zone de guerre. On garde les objets qui ont une grande valeur sentimentale et qui peuvent résister au temps. On ne sait pas si la maison sera toujours debout, mais il y a certaines choses qu’on y retrouvera toujours.

Que représentent les bijoux pour vous ?
Exactement ce qu’ils représentent aujourd’hui : des souvenirs, des moments dans le temps, mais aussi une forme d’expression personnelle. Même lorsque vous êtes complètement nu, sans slogan sur votre tee-shirt, sans casquette sur laquelle est écrit « Fuck you », vos bijoux continuent de dire : « Voici ma culture, voici d’où je viens. »
Les bijoux peuvent-ils être politiques ?
Les bijoux sont toujours 100 % politiques. Premièrement, le prix de l’or est actuellement à un niveau record. Deuxièmement, la plupart des mines de pierres précieuses dans le monde sont soumises à une situation très, très politique. Lorsque vous achetez des bijoux, vous devez être conscient de qui les extrait, qui est exploité au Congo. Vous devriez demander à voir les documents officiels. Vous devriez soutenir les marques qui sont conscientes de la provenance de leurs matériaux.
Et vous, où achetez-vous vos pierres et métaux précieux ?
Nous nous approvisionnons en émeraudes en Colombie, car c’est là-bas que l’on trouve les meilleures, en or et en diamants à Londres, en cristal et en plaqué or à Florence, en Italie. Je suis catégorique : nous n’allons pas en Extrême-Orient. Je me bats sans cesse avec l’usine de Florence pour ajouter ne serait-ce que 0,0002 micron d’or au placage afin qu’il résiste au chlore des piscines ou à une utilisation estivale à la plage. Je me mets souvent des bâtons dans les roues, car je ne commercialise rien que je n’achèterais pas moi-même. La qualité est la chose la plus importante pour moi, même pour les produits d’entrée de gamme. Je n’ai aucun problème avec le fait que ma marque se développe plus lentement pour cette raison.
Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères métiers d’art N°1 : les joailliers