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Lucas Bidault le

« La création artistique permet de révéler autrement le monde sportif »

Entretien avec Dominique Hervieu, directrice de l’Olympiade culturelle des Jeux de Paris 2024.

Après dix ans à la tête de la Maison de la Danse à Lyon, Dominique Hervieu, directrice de la culture de Paris 2024, pilote l’Olympiade culturelle des Jeux depuis mars 2022. Âgée de 61 ans, cette ancienne chorégraphe a la charge de coordonner les près de 2 000 projets culturels qui se déroulent, en parallèle des Jeux, dans plus de 750 villes en France. Pour ce faire, elle dirige une équipe d’une dizaine de personnes, dotée d’un budget de douze millions d’euros.

Sur une initiative de Pierre de Coubertin, désireux d’allier « le muscle et l’esprit » aux Jeux, sept éditions de 1912 à 1948 comportent des épreuves olympiques en peinture, sculpture, littérature, musique et architecture. Quel est le lien entre Jeux olympiques et art ?

Cela vient de la Grèce antique et plus précisément de la ville d’Olympie où cohabitaient le sport, l’art, la philosophie et la religion. C’était le ciment de la société. En fait, le lien entre JO et art vient de l’idée de l’Homme complet, à la fois sportif et capable de vivre des émotions esthétiques et philosophiques. Ce principe a été repris par Pierre de Coubertin lors de l’invention des Jeux modernes et plus spécifiquement pour cette histoire de compétitions artistiques assez méconnues aujourd’hui.
Puis, il faut savoir que le premier article de la Charte olympique du CIO dit que les trois piliers fondamentaux de l’olympisme sont le sport, l’éducation et la culture. C’est ça qui explique aujourd’hui la question de la présence des arts dans l’événement sportif, et qui justifie l’Olympiade culturelle.

Pourquoi a-t-on stoppé la présence d’épreuves culturelles aux Jeux ?

À cause de la qualité ! [Rires.] De 1912 à 1948, les compétitions artistiques, comme sportives d’ailleurs, sont réservées aux amateurs. Ça donne alors une dimension un peu dilettante à la compétition. Il faut être franc : la création artistique des différentes nations était de piètre qualité. Dans l’art, il y a le critère de l’excellence et de l’originalité de l’œuvre. Là, c’était des peintres du dimanche. [Rires.] Donc cela a été arrêté.

Le Parc urbain de la place de La Concorde, aménagé pour les Jeux olympiques. ©Valentin Petit / Indisumo Group Division

N’y avait-il pas une question d’ego de la part de Pierre de Coubertin ? Il s’est tout de même vu attribuer une médaille d’or dans la catégorie Littérature pour son Ode au sport.

Sincèrement, je ne crois pas. C’était un homme particulièrement cultivé. Il y a une exposition au Louvre qui met en avant l’influence de la culture grecque dans l’invention des Jeux modernes. En 1894, il y avait une société d’érudits français qui étaient complètement émerveillés par la civilisation grecque. Ils se sont appuyés là-dessus pour penser les Jeux olympiques modernes. C’est cette fascination pour la culture grecque qui a poussé Pierre de Coubertin à mettre en place ces compétitions artistiques. Et puis, il a fait la compétition sous pseudo.

L’Olympiade culturelle a-t-elle pour objectif de susciter un intérêt pour les Jeux auprès d’un public qui ne serait pas naturellement intéressé par ça ?

Oui, totalement. Ce dont nous discutons dans cet entretien n’est pas assez connu du grand public. C’est important que l’Olympiade culturelle fasse passer ce message historique sur la culture olympique. Le grand public doit comprendre que les Jeux ne sont pas uniquement liés au sport. Il ne faut pas oublier non plus la volonté de créer une société pacifique.

Que voulez-vous dire ?

Encore aujourd’hui, il y a une résolution à l’ONU sur la trêve olympique. Bon, elle n’est pas franchement écoutée. [Rires.] Le président chinois Xi Jinping est venu récemment en France. La question de la trêve olympique a été mise en avant par le président Macron. En fait, il y a un ensemble de valeurs portées par l’Olympiade culturelle et plus globalement par l’olympisme qui gagne à être connu.

Breakdance, patinage artistique, natation synchronisée… Comment différencier une performance sportive d’une performance artistique ? 

J’ai tendance à être très claire sur cette question : le sport n’est pas de l’art et l’art n’est pas du sport. Pour autant, il y a des frontières plus ou moins poreuses sur certaines disciplines. Mais il y a, à mon sens, une différence majeure qui est la suivante : la performance physique est le but en soi dans le sport alors que la performance et la virtuosité ne sont pas le but ultime en art. L’objectif dans la performance artistique, c’est l’émotion véhiculée, la narration, l’exigence d’invention, la question du sens ou encore le plaisir esthétique. Tout ça est très différent de la performance sportive. Le moteur de l’exploit sportif et le moteur du chef-d’œuvre ne sont pas identiques. Mais cela n’empêche pas que ces deux mondes peuvent prendre du plaisir à se côtoyer : de nombreux artistes adorent le sport et à l’inverse, de nombreux sportifs ont  une vraie considération pour les artistes.

Justement, pourquoi les Jeux représentent-ils une matière si intéressante pour les artistes ? 

Parce qu’ils représentent un phénomène social à 360 degrés et qu’ils incarnent une ferveur populaire exceptionnelle. Les Jeux sont un fait social qui questionne aussi bien les enjeux géopolitiques que d’inclusion, de pacifisme, de parité ou encore d’environnement. La vitrine est énorme puisque l’on est sur une culture de masse. Pour un artiste, c’est particulièrement intéressant. La création artistique permet de révéler autrement le monde sportif.

Dans toute la France et dans le cadre de l’Olympiade culturelle, il y a 2300 projets et près de 60 000 événements différents. À chaque fois, ces projets ou événements questionnent un lien entre sport et art, sport et écologie, sport et inclusion, sport et alimentation, etc. Il y a peu, j’étais au Musée de la Poste pour l’inauguration d’une exposition extrêmement riche autour du messager d’Olympie. C’est ce messager, qui a couvert la distance entre Olympie et Marathon pour annoncer qui avait gagné la bataille entre Grecs et Perses, qui a donné son origine à la célèbre épreuve du marathon et qui est aussi considéré comme … le premier postier. [Rires.] Il y a des connaissances culturelles différentes qui permettent à chaque fois de lire sous un nouvel angle les Jeux. C’est comme ce projet très intéressant que j’avais remarqué où l’on comparait les performances des champions olympiques avec celles des animaux. À chaque fois, l’humain est largement battu ! Les animaux courent plus vite, sautent plus haut et plus loin. [Pour le plaisir de l’anecdote, rappelons que la panthère des neiges a une distance record au saut en longueur d’environ … seize mètres, et les impalas un record au saut en hauteur d’environ trois mètres. Pour les amateurs d’haltérophilie, difficile de rivaliser au lever de poids avec le gorille qui peut soulever de terre 900 kilos, ndlr]

(Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères N°16 : Les athlètes olympiques)

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