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Alessandra Chiericato le

Portfolio : Gueules cassées

Lancé dans un long projet pour lequel il écume les salons d’armement, le photoreporter russe Nikita Teryoshin, écoeuré par la glamourisation militaire, ressent le besoin de changer d’univers. Il se plonge donc dans celui des chats des rues, sorte de gueules cassées marginales auxquelles ils souhaitent rendre hommage.

En 2019, le photographe Nikita Teryoshin se trouve à Saint-Pétersbourg, sa ville natale. Il assiste à une « foire de la défense » dans le cadre de son projet photographique Nothing Personal – the back office of war (« Rien de personnel les coulisses de la guerre » en anglais), une série qui lui a valu plusieurs récompenses, dont le prestigieux World Press Photo 2020 dans la catégorie Contemporary Issues, ainsi qu’une nomination dans la catégorie Photo of the Year.

En sortant du pavillon, où se mêlent brutalité et mondanités, la sensation d’étrangeté qu’éprouve le photographe est immense. Ainsi, même une rencontre apparemment banale – en l’occurrence un groupe de chats errants endormis sur un trottoir – devient l’occasion de retrouver une émotion refoulée : un contrepoint nécessaire face aux canapés impeccables et aux sourires éclatants des marchands d’armes. Pourtant ces chats ne sont pas beaux. Ils sont même l’antithèse des félins parfaits sur les réseaux sociaux. Yeux tuméfiés, oreilles mutilées, pelage abîmé, ils incarnent ce qui vit en marge, ce qui est considéré comme négligeable mais continue d’exister dans les interstices de la ville.

Backyard Diaries naît précisément de ce besoin urgent de renouer avec la réalité, aussi triviale soit-elle. La série, commencée à Saint-Pétersbourg puis poursuivie à Bangkok, Istanbul et Atlantic City (États-Unis), raconte la vie brute des chats des rues, engagés dans une lutte quotidienne pour la survie. « Avec mon travail, je rends hommage à ces marginaux de la société », affirme le photographe, aujourd’hui basé à Berlin. Pas seulement les félins, mais également les personnes qui s’en occupent : le plus souvent des sans-abri, des marginaux, des pauvres. Ils veillent sur eux, en prennent soin comme si, par contagion, ils bénéficiaient eux-mêmes du bien qu’ils leurs font.Mais la cruauté humaine fait aussi partie de cette réalité. « J’étais à Bangkok et j’avais rendez-vous avec un homme qu’on m’avait décrit comme quelqu’un s’occupant de nombreux chats errants, raconte Nikita Teryoshin. Lorsque je suis arrivé sur place, il a levé la grille d’un local où se trouvaient au moins cinquante chats enfermés dans des cages. » À nouveau, la guerre se joue en coulisses.

[Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères n°22 : les chats et nous]

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Collection Sphères
Les chats et nous - Couverture 1
20 €
Dans ce numéro