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César Marchal le

Stéphanie Le Quellec et Olympe Versini : Interstellaire

La première, 74 ans, plus jeune cheffe étoilée (31 ans à l’époque), cuisinière star forte en gueule dans les années 1970 et 1980, est aujourd’hui relativement inconnue du grand public. La seconde, 43 ans, jury de « Top Chef » après avoir remporté la saison 2, en 2011, gère un deux étoiles ainsi qu’un bistronomique, un restaurant de poissons et un traiteur. Les deux pointures discutent de leurs parcours respectifs, nés de motivations opposées mais qui ont en partage les louanges des critiques et la pression qui en découle, le sexisme derrière les fourneaux, la médiatisation à degrés divers ou encore la séduction à travers l’assiette.

Votre verdict, Olympe ?

Olympe Versini : Je dirais simplement que c’est la première fois que je mange chez Stéphanie, et que je viens de décider que je viendrai aussi ce soir pour le dîner, et demain pour le petit-déjeuner. [Rire général dans la salle.]

Vous étiez-vous déjà rencontrées ?

OV : Non, parce que quand Stéphanie a ouvert son restaurant à Paris, en 2013, j’ai vendu le mien. On s’est croisées une première fois il y a quelques semaines à peine.

Stéphanie Le Quellec : C’était au festival Saveurs & Savoirs, de François-Régis Gaudry, autour d’un déjeuner. J’arrivais de Paris. Olympe était déjà installée à table, et je l’ai rejointe. Évidemment, je la connaissais de nom, et j’étais ravie de grappiller une petite place à sa table.

Olympe, vous êtes autodidacte et ne vous destiniez pas, à l’origine, à la cuisine. En 1972, lorsque vous trouvez un ancien salon de coiffure rue du Montparnasse, vous voulez d’ailleurs “faire de la mode”. Des amis vous décident à en faire un restaurant et un an plus tard, à 23 ans, vous ouvrez, avec un succès immédiat. Pensez-vous toutes les deux que cela serait encore possible aujourd’hui ?

SLQ : C’est clair que le monde a changé. L’offre de restaurants s’est beaucoup étoffée, il y a les réseaux sociaux… Ça met une pression supplémentaire. Il y a moins de place pour la spontanéité, on a l’impression que le niveau d’attente est tout de suite très élevé quoi qu’on fasse. À la fois le champ des possibles reste ouvert avec un peu d’audace, mais il n’y a plus la forme de liberté que tu as connue.

OV : Je vous le dis très clairement : tel que j’ai commencé, ce serait impossible. Il y a maintenant des normes qui n’existaient pas. Mon ex-mari et moi avons commencé comme deux jeunes qui vont construire une maison de campagne. C’était de la bricole !

Comment se manifestait cette liberté dans les années 1970 ?

OV : Dans tout : le fait de transformer un coiffeur des années 1930 en restaurant, sans argent, sans avoir jamais travaillé dans la restauration…

SLQ : Mais tu avais quand même cette envie de faire de la cuisine ?

OV : J’aimais faire la cuisine, oui. J’avais ça dans les gènes, depuis l’âge de 6 ou 7 ans. Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était le cinéma et la mode. Quand on a trouvé ce local rue du Montparnasse, je voulais me lancer comme Chantal Thomas et Sonia Rykiel à l’époque. Sauf que le proprio m’a dit que la mode, c’était difficile, et a ajouté : “Oh, écoutez, je vous fais un bail tous commerces.” [Rires.] Comme j’avais l’habitude de faire un dîner pour des amis tous les deux ou trois jours, on s’est dit avec mon ex-mari qu’on pourrait ouvrir un restaurant. T’imagines ?

SLQ : J’imagine beaucoup moins ça aujourd’hui !

OV : C’est parti comme ça. Arrive l’ouverture, et je me dis qu’il faut qu’on trouve un cuisinier, car je n’imaginais pas cuisiner moi-même. Un monsieur se présente, il doit avoir 40 ans mais il me semble très âgé, et je me dis : “Oh mon Dieu, quelle horreur !” Alors je dis à Albert, mon ex-mari : “Écoute, je fais la cuisine deux ou trois mois, et puis on trouvera quelqu’un.” Finalement, j’ai cuisiné pendant 42 ans.

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Collection Sphères
Les chefs
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