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Hadrien Hubert le

Le FC Lupinu prend ses quartiers

En Corse, si le football est une religion, Bastia est son saint-siège. Au sud de la ville s’est implanté depuis 2020 le FC Lupinu, club fondé par un groupe d’amis qui promeut le renouveau d’un football populaire dans un quartier qui l’est tout autant.

Un soir de septembre 2020 dans la zone industrielle d’Erbajolo, au sud de Bastia (Haute-Corse). Une bande de potes, du foot en salle, de la macagna (un art de chambrer typiquement corse) et une discussion qui tend vers l’irréel : « Et si on créait notre propre club ? » Mickaël, Pierre-Marie, Émilien, Alexis, Loïc, Kévin et Joseph ne le savaient pas encore, ils se lançaient dans le projet de leur vie : le Football Club Lupinu. Loïc Capretti en a toujours rêvé, au fond de lui : « Représenter le quartier de notre enfance sous un même maillot, c’est la plus belle chose qui pouvait nous arriver », raconte celui qui a la double casquette d’entraîneur et de responsable de la communication. « Au début, on n’avait rien, un pick-up en guise de vestiaire et je gonflais les ballons dans mon garage », se souvient le président Joseph Sageot. Deux semaines après la création du club, l’engouement est énorme. Une trentaine de joueurs se présente au premier entraînement, « trois-quatre éducateurs » rejoignent l’aventure, la structure est inscrite de justesse en Régional 4 (la neuvième division, l’échelon le plus bas du football français), et le rêve prend forme.

Premier match, victoire deux à un dans un stade Erbajolo plein à craquer. Le lendemain, le 29 octobre 2020, la population française est mise sous cloche pour la deuxième fois, confinement oblige. «Sur le coup, c’était dur à encaisser, mais avec du recul, ça a été le meilleur moyen de comprendre comment se structurer», reconnaît Loïc Capretti. Depuis le bar A Merendella, tenu par l’oncle du président, les idées fusent. Une d’elle fait l’unanimité. Celle de fonder un club de «football populaire». Un club qui réunit les gens, qui sort les gamins des maisons et qui incarne le quartier.

Simon Donat se
tourne une dernière
fois vers les tribunes
avant de s’engager
sur la pelouse.
Il marquera l’unique
but du FC Lupinu
face au JS Bonifacio © Raphaël Poletti
Simon Donat se tourne une dernière fois vers les tribunes avant de s’engager sur la pelouse. Il marquera l’unique but du FC Lupinu face au JS Bonifacio © Raphaël Poletti

Bien qu’au niveau le plus bas du football français, le FC Lupinu se la joue professionnel : trajet en bus pour les voyages au long cours, noms floqués au dos des maillots, communication léchée, le tout accolé à la volonté de créer « un vecteur de lien social « pour les jeunes. « Il faut innover, donner envie de rejoindre notre club pour qu’à terme, les plus jeunes ressentent le même sentiment d’appartenance pour le quartier que pour le club », ambitionne Loïc Capretti. Les Lupinacci grandissent, cumulent bientôt quatre-vingt-neuf licenciés répartis dans quatre équipes : une « première », une de vétérans, une de moins de treize ans et une de moins de quatorze ans.

Quartier populaire par excellence

À Lupinu (ou Lupino, en VF), on croise des mères de famille, des jeunes qui zonent en bande, des plus anciens qui refont le monde au bistrot du coin et des politiciens qui tentent de grappiller des voix. On est loin du Cap Corse pittoresque, ou du Bastia qui fait lever le nez des touristes, celui de la Citadelle ou du centre-ville. Ici, c’est béton et résidences. Logements sociaux plutôt que palazzi, ces demeures de Cap-Corsins qui ont fait fortune aux Amériques. Impersonnel, diront certains. « C’est le quartier populaire de Bastia par excellence, rétorque Danielle Mattei, présidente de l’association Alpha, qui cherche à préserver le lien social par le bias d’animations et de médiations. Et je l’aime comme il est. »

Sorti de terre dans les années 1960 au sud de Bastia, Lupinu accueille les villageois du Cap Corse en plein exode rural. « Le quartier de Lupinu est un exemple du développement en profondeur de la Corse, explique Didier Rey, professeur d’histoire contemporaine à l’université Pascal-Paoli de Corte. C’est l’essor d’un quartier sur le modèle continental, avec la construction de logements sociaux dans lesquels vivaient des personnes issues des villages aux alentours. » Se mélangent, avec les années, cultures et religions différentes, le football œuvrant comme trait d’union. « Il y a un goût du vivre ensemble que, personnellement, je n’ai pas retrouvé ailleurs », avance Danielle Mattei. Son centre névralgique, c’est la cité Aurore. Joseph Sageot, le président du club, y a grandi, tout comme son père et sa mère. Il y a « appris la vie, autant le bien que le mal ». Son quartier, c’est aussi l’esprit d’un village corse dans des barres d’immeuble. « Notre porte était toujours ouverte, on buvait le café chez l’un et chez l’autre, on était tout le temps dehors. Tout le monde se connaissait, c’était l’enfance rêvée, retrace-t-il. Quand on est originaire du quartier, on a nos conneries, notre façon de parler, les gens le reconnaissent tout de suite et nous disent : ‘Toi, t’es de Lupinu !’»

© Raphaël Poletti
© Raphaël Poletti

Bordé par Montesoro et Paese Novu, autres cités populaires, Lupinu a vu naître des ténors du football local, comme Pascal Olmeta, Bruno Rodriguez ou Chaouki Ben Saada. L’ancienne gloire du Sporting Club de Bastia François Modesto, aussi Lupinacci, est le président d’honneur du FC Lupinu. « Depuis qu’on a créé ce club, on se rend compte qu’il y a énormément de monde issu de ce quartier, s’étonne à peine Joseph Sageot, plombier dans la « vraie vie ». Pas besoin d’alerter toute la ville pour trouver des joueurs. Du bouche-à-oreille, des connaissances de l’un et de l’autre, c’est comme ça qu’on construit notre effectif. »

Symbole de la ferveur bastiaise

Pour comprendre le FC Lupinu, il faut comprendre le football à Bastia, berceau du football insulaire. Ici, le seul club amateur de la ville est un nain. Il y a eu le Cercle athlétique bastiais qui avait atteint la Ligue 2, dissous en 2017, le FC Borgo relégué en National 2 (quatrième division) l’année passée, mais il y a surtout le Sporting Club de Bastia (SCB), « le Sporting » pour les gens d’ici. Le club le plus populaire de l’île et le plus titré aussi. Il a émerveillé la Corse en 1978, quand, emmené par Claude Papi – probablement le plus grand joueur du football corse -, il s’est hissé en finale de la Coupe de l’UEFA. Avec une coupe de France en 1981, la Coupe Intertoto en 1997 (la seule coupe d’Europe remportée par un club corse) et deux titres de Ligue 2, le SCB est un symbole de l’identité corse : « Il y a des supporters du Sporting dans toute la Corse, ce qui n’est pas le cas de l’AC Ajaccio, l’autre grand club de l’île, affirme Didier Rey, spécialiste du football en Méditerranée occidentale. Si le SC Bastia disparaissait, ce serait une part de l’identité corse qui s’en irait aussi. »

Kevin Luciani, le capitaine de l'équipe © Raphaël Poletti
Kevin Luciani, le capitaine de l’équipe © Raphaël Poletti

Le FC Lupinu, en amateur, reproduit l’image de ce football populaire des années 1980-1990. « Ceux qui animaient la tribune Est de l’ancien stade de Furiani provenaient en majorité de Lupinu. » Les sept dirigeants ne se le cachent pas, « on est tous supporters du Sporting ». Loïc Capretti, socio du SC Bastia, c’est-à-dire membre de l’association dont le but est de faire prévaloir les intérêts du club, a même une chaîne YouTube qui commente l’actualité du club. Et, sur l’écusson du FC Lupinu, une tête de Maure rappelle le fanion du SC Bastia 1977-1978, accompagnée des tours de la cité Aurore, de la montagne de Serra-di-Pigno et de ses deux antennes-relais qui surplombent le quartier.

Titiller le Sporting

Julian Palmieri, lui, n’est pas de Lupinu. Figure majeure du football corse, l’arrière gauche du SC Bastia pendant cinq ans (2005-2006, puis 2012-2016) est resté dans les mémoires pour sa reprise de volée face au Paris-Saint-Germain (PSG) en 2015, l’épopée en finale de Coupe de la Ligue la même année, perdue face au PSG, et son passage tronqué à Lille. « Le foot pro, ça m’a gonflé, lance le retraité de trente-six ans. J’avais besoin de me connecter à nouveau au football populaire, celui de mes débuts. » Des négociations autour d’une bière avec Loïc Capretti, « et en dix minutes, c’était réglé ». Julian Palmieri porte désormais la tunique noire et or du FC Lupinu. Son passé de professionnel en a impressionné plus d’un. « On était tous curieux de voir comment il allait s’intégrer. Deux trois macagna bien senties et il est devenu l’un des nôtres », rapporte Loïc Capretti. L’ancien numéro 15 du Sporting a abandonné son couloir gauche pour monter d’un cran en milieu récupérateur. « Après une fin de carrière difficile, je retrouve le plaisir de jouer, assure-t-il. Là, je kiffe ma vie.»

© Raphaël Poletti
© Raphaël Poletti

Après la saison interrompue par le Covid, l’année suivante du FC Lupinu est marquée par le décès d’un des leurs. Anthony, dit « Antho le Normand », c’était le gars de l’Ouest qui s’était parfaitement intégré à la société corse : « Il a tout vu du club. Ça nous a tous mis un coup, le club aurait pu s’arrêter tellement la douleur était vive. On s’est dit : ‘Soit on continue et on fait mieux que l’année dernière, soit on arrête’ », raconte Joseph Sageot. Les tergiversations n’ont pas duré bien longtemps. Champion de R4, meilleure attaque, meilleure défense et invaincu, vainqueur du challenge R4, le club bat tous les records lors de la saison 2022-2023. « Je n’ai pas pleuré à mon mariage, mais quand Lupinu est devenu champion, j’ai versé une larme », s’en amuse le président. Seule ombre au tableau, une défaite en finale du Challenge Stra (compétition qui réunit des clubs de Régional 2, 3 et 4). « On n’était plus habitués à perdre, j’ai eu besoin de trois jours pour m’en remettre », reconnaît Loïc Capretti. À terme, Joseph Sageot « aimerait monter de trois divisions et maintenir le club en Régional 1, ce serait exceptionnel ». Titiller le Sporting, « impensable » souffle Loïc Capretti avant de se prendre à rêver, peut-être, un jour, de « jouer dans un stade construit à Lupinu ».

Hadrien Hubert

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