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Lucas Bidault le

« Nous sommes des machines de guerres »

Retraité des théâtres de guerre depuis 2011, Ludovic Olive revient sur son expérience au sein du commando Hubert, considéré comme le plus élitiste de l’armée française.

Dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello étaient tués dans une opération au nord du Burkina Faso. Tous deux étaient membres du commando Hubert, une unité d’élite spécialisée dans la plongée sous-marine. Ce drame, un temps médiatisé, a mis en lumière le travail méconnu de ces soldats des profondeurs.

Nageur de combat pendant dix-sept ans, reconverti comme entrepreneur et colistier à la dernière élection municipale de Bandol, Ludovic Olive est à l’image de son ancienne unité : un touche-à-tout. Retraité des théâtres de guerre depuis 2011, il revient sur son expérience au sein de ce commando, considéré comme le plus élitiste de l’armée française.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le commando Hubert et quelle est sa particularité ?

C’est la seule unité d’élite de la Marine Française capable d’évoluer dans toutes les dimensions : air, terre, mer et sous mer. Pour bien comprendre, un membre du commando Hubert peut aussi bien être largué à 7.000 mètres d’altitude en chute libre que plonger à 60 mètres de profondeur. Il doit pouvoir évoluer dans tous les milieux pour répondre à n’importe quelle mission.

Justement, quelles sont-elles ?

Il y en a de toutes sortes. On peut faire du sabotage, du renseignement, de l’infiltration, de l’exfiltration ou encore de la reprise de bateau. J’ai aussi bien participé à une mission d’exfiltration en Yougoslavie qu’à un assaut dans le Golfe de Guinée pour libérer des salariés pris en otages. Un nageur de combat doit pouvoir agir partout. Il doit également être capable de toucher une cible à 2.000 mètres, c’est un tireur d’élite. Mais malgré tout, sa spécialité reste la plongée. C’est à ça que nous avons été formés.

Médaillon du commando Hubert © Matthieu Chatonnier
Médaillon du commando Hubert © Matthieu Chatonnier

La formation pour devenir nageur de combat est réputée pour sa grande dureté. Est-ce vraiment le cas ?

[Sourire.] Oui, c’est très compliqué. Déjà, il faut obligatoirement être membre de la Marine. Ensuite, et avant même la période de sélection, il faut passer toute une série de tests préliminaires d’aptitude médicale et psychologique, comme pour les pilotes de chasse. C’est ce qu’on appelle le SYGICOP. Les pilotes de chasse doivent avoir « 1 » dans toutes les catégories. Pour les nageurs de combat, c’est pareil sauf pour le P (psychisme). Si un candidat possède une jambe plus courte que l’autre, porte des lunettes ou des lentilles, il ne pourra pas rejoindre le commando. Il y a des critères très stricts à respecter. Mais si son dossier est validé, il peut ensuite se rendre à la base de Saint-Mandrier pour quinze jours de sélection.

Et c’est là que les choses sérieuses commencent… 

Oui, c’est à ce moment-là qu’un deuxième tri a lieu. Les tests portent cette fois sur les aptitudes physiques, physiologiques et psychotechniques du candidat. On lui demande de faire un maximum de pompes, tractions, natation, etc. Puis, de savoir se repérer en plongée nocturne, sans lumière, pendant quatre heures. Ça permet de tester sa réaction au stress. Il doit aussi être capable de supporter pendant plusieurs heures un appareil respiratoire à 100% d’oxygène en milieu hyperbare [Milieu où la pression est supérieure à la pression atmosphérique, ndlr]. À l’issue de ces quinze jours de sélection, les vingt premiers sont retenus pour suivre le cours de nageur de combat.

© Matthieu Chatonnier
© Matthieu Chatonnier

C’est la dernière étape pour intégrer officiellement le commando Hubert ?

Exactement ! Mais c’est aussi la plus dure. Le cours dure sept mois. C’est un des plus exigeants de l’armée française. On demande aux candidats de plonger de nuit, dans des milieux hostiles, pendant six à sept heures. Sans lumière, mais toujours en binôme. L’esprit collectif est primordial puisqu’aucune plongée ne se fait sans son partenaire. Sous l’eau, on est toujours sanglés. Si l’un des deux nageurs se désangle, sauf cas extrême, il est viré. Pas de place pour l’individualisme. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a qu’une cinquantaine de nageurs de combat en France.

N’y-a-t-il jamais eu d’accident ?

Au cours de ma carrière, je n’ai jamais connu de mort en mission. Ce qu’il s’est passé au Burkina, c’est rarissime. Les deux membres du commando sont arrivés tout près sans tirer un seul coup de feu. Il y en a un qui a trébuché sur un mec qui dormait. Ça l’a réveillé, il a gueulé puis ça a tiré de partout. Il y a plus de pertes à l’entraînement qu’en mission. En 1993, au bout du cinquième mois de ma formation, deux marins du cours précédant le mien sont décédés en plongée. Ils ont eu un problème avec leur appareil. Avec le stress, de nuit et sans lumière, quand il faut évoluer sous des bateaux sans rien y voir, c’est très compliqué.

À quoi ressemble votre entraînement ?

Il est séparé en trois parties : un tiers de plongée, un tiers de tir et un tiers de terrain. Il faut se familiariser avec les différents appareils, car selon la profondeur, on n’utilise pas les mêmes. On pratique tous les types de tir, de 5 à 2000 mètres. Tous les nageurs de combat sont des tireurs d’élite sur terre. Il n’y a que le tir sous-marin qu’on survole, car c’est plutôt rare et pas assez discret. Pour ce qui est du terrain, on apprend des techniques de combat spéciales, des stratégies de pénétration discrète dans les bâtiments, des méthodes d’appui et d’assaut, d’extraction de diplomates … On se prépare même à la pénétration de sous-marins, qui sont des points d’appui primordiaux.  Sur l’ensemble des missions, l’effet de surprise nous avantage beaucoup. Un binôme de nageurs de combat peut neutraliser un bateau simplement parce qu’il est invisible, indétectable.

© Matthieu Chatonnier

Vous voulez dire qu’aucun moyen moderne actuel ne peut le repérer ?

Tout à fait. Sous l’eau, les nageurs de combat n’ont pas de signature thermique, et très peu de signature acoustique car ils utilisent un appareil respiratoire à circuit fermé qui ne fait aucune bulle.

Et vous, sous l’eau, vous entendez les bruits alentours ? 

On entend tout ! Le moindre bruit sur un bateau [Il tape son stylo sur son téléphone], la rotation des hélices, tout ça, on l’entend. Les ondes sonores se diffusent beaucoup mieux sous l’eau. Par contre, et c’est assez déstabilisant au début, on ne sait pas d’où provient le son. On peut le reconnaître donc deviner son origine, mais sinon, impossible de le localiser. Sa fréquence te traverse puis elle s’éloigne.

La gestion du stress semble primordiale au sein du commando Hubert, peut-être plus encore que dans les autres corps de l’armée. Comment l’expliquez-vous ?

En fait, c’est assez simple. Le stress entraîne une surconsommation d’oxygène et donc un risque d’hyperoxie [Excès d’apport en oxygène pouvant avoir des effets néfastes sur l’organisme, ndlr]. Quand il est composé à 100% d’oxygène, l’air est toxique pour l’être humain. Or, nos bouteilles ne contiennent que ça. C’est une des particularités de notre équipement. Et comme l’afflux d’oxygène influe beaucoup sur le comportement, il faut veiller à ne pas trop en consommer. Je me souviens, quand je sortais faire une plongée de plusieurs heures, derrière, il m’était impossible de dormir. J’étais beaucoup trop excité. Maîtriser son stress est donc essentiel, déjà pour éviter ce problème d’hyperoxie. Et puis pour certaines missions, c’était préférable.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

[Il hésite] Je ne peux pas m’étendre sur d’anciennes missions. Certains lieux ou individus pourraient être reconnus et cela nous est interdit.

Êtes-vous entraîné à gérer ce stress ?

En mission, nous sommes en mode « machine », focalisés sur l’objectif. Il n’y a aucun stress, simplement de la concentration. On réalise tellement de plongées à l’entraînement, dans des conditions extrêmes, qu’au final, on se sent prêt à affronter n’importe quoi et n’importe qui. Après, ça n’empêche pas d’avoir une forme d’appréhension. Quand l’avion vous largue, à 4 000 mètres en zone hostile et de nuit, il y a une crainte. Idem quand on sait que sous son corps, il peut y avoir trois mètres de profondeur comme 4 000.

Anciennes photos de Ludovic Olive au commando © Matthieu Chatonnier
Anciennes photos de Ludovic Olive au commando © Matthieu Chatonnier

Et puis, on ne se pose pas les mêmes questions en Méditerranée ou dans le Pacifique. Dans les eaux chaudes, on peut trouver des requins ou des barracudas contre lesquels on ne peut pas grand-chose. Quand il y a, à une centaine de mètres face à toi, un troupeau d’hippopotames et que l’on sait qu’il suffit d’une attaque… On garde ça à l’esprit mais on n’en fait pas état, sinon autant changer de métier.

Y-a-t-il eu un moment particulièrement angoissant au cours de votre carrière ?

[Il réfléchit] Oui, au Liban. Je m’en souviens encore très bien. J’étais en mission sous-marine dans un port. A cinq centimètres de la surface, alors que j’allais me découvrir, je me rends compte qu’un mec se tient juste au-dessus de moi, armé d’un fusil d’assaut. Je suis si proche de lui que je le distingue nettement. Je vois qu’il s’approche de moi. Je n’ai plus qu’une chose à faire : ne plus bouger du tout. Là, il y a du stress [Il mime un coeur qui bat]. Mais en même temps, je sais que je suis invisible. Rien ne brille sur mon équipement. Un filet de camouflage recouvre ma tête et me fait passer pour une algue. Aucune bulle ne sort de mon appareil respiratoire. À ce moment précis, si je ne maîtrise pas mon souffle, je risque de m’affoler et de consommer trop d’oxygène. Si c’est le cas, ça va augmenter directement ma capacité pulmonaire, je vais remonter à la surface comme un ballon et exploser la ligne d’eau. Alors j’attends, j’attends, puis je le vois partir. Je redescends ensuite, lentement, vers les profondeurs. Heureusement pour moi, il a dû penser que j’étais une algue [Sourire].

On vous apprend à maîtriser ces derniers mètres de remontée ?

Bien sûr ! On nous apprend à passer de six mètres de profondeur à cinq centimètres de la surface en vingt minutes. On gère ensuite notre capacité pulmonaire pour se stabiliser. Et les instructeurs scrutent l’eau pour voir si tu ne te fais pas repérer. Bien souvent, les remontées en surface ont lieu après de longues distances effectuées et une certaine fatigue. On nous apprend à palmer pendant des heures, à une moyenne très précise de deux kilomètres par heure. Ni plus, ni moins. Quand tu plonges pendant quatre heures, ça fait quand même huit kilomètres sous l’eau. 

Avez-vous un équipement particulier pour réaliser de grandes distances sous-marines ?

Nos palmes déjà. Elles font environ 75 centimètres de longueur. On utilise aussi des engins de différentes tailles avec des élongations respiratoires allant jusqu’à huit heures. Ce sont comme des mini sous-marins. Il y a aussi des propulseurs qui permettent de faire de grandes distances rapidement.

À quel point votre équipement diffère de celui des plongeurs classiques ?

Notre tenue est entièrement noire et marouflée. Toutes nos zones sont ternies, rien ne doit briller. On a aussi un filet de camouflage pour se cacher le visage. Pour respirer, on utilise un appareil à circuit fermé à 100% d’oxygène. Aucune bulle ne doit sortir de l’équipement. Même du masque ! Si de l’eau y entre, on nous apprend à l’enlever sans faire sortir une seule bulle. Selon le type de plongée, on peut utiliser un système de bi-bouteilles. On possède également des armes dans un revêtement inoxydable et des charges explosives dans le dos. En surface, tout ça peut peser jusqu’à 30-40 kilogrammes. Heureusement, sous l’eau, on ne le sent pas.

Ludovic Olive, chez lui, à Bandol © Matthieu Chatonnier
Ludovic Olive, chez lui, à Bandol © Matthieu Chatonnier

Et pour vous repérer ?

On utilise un compas boule, un profondimètre à aiguille et une montre. On n’allume jamais une seule lampe !

Mais ce n’est pas simple de lire l’heure sans la moindre lumière…

À cause du marouflage, il est compliqué de lire l’heure, c’est vrai. Mais même en mettant la luminosité au plus bas, quand on colle la montre au masque, on y arrive. De toute façon, sur quatre heures de plongée, je sais exactement où je suis, à n’importe quel moment. Tout est chronométré, je sais qu’entre telle heure et telle heure, je vais toucher le quai que je cible, et si ce n’est pas le cas, c’est que je suis perdu.

N’est-ce pas particulier d’évoluer dans un univers totalement minuté, chronométré, alors que le monde sous-marin est justement le lieu du calme, à l’opposé de la frénésie militaire ?

Je n’ai jamais vu la plongée comme une passion. Ça a toujours été mon métier. L’eau est mon environnement de travail. Hostile parfois. Je suis assez fataliste.

Comment cela ?

Je me suis toujours dit : si c’est ton tour, c’est ton tour. C’est comme ça que je vois les choses. Si mon parachute ne s’ouvre pas, c’est qu’il ne devait pas s’ouvrir. Et s’il y a un problème dans l’eau, c’est que c’était mon tour.

Quand on a à l’esprit tous ces risques, y-a-t-il encore cette phase d’excitation pour le départ en mission ?

Ah oui, toujours ! En fait, il y a plusieurs phases. La première, c’est la phase d’euphorie quand on apprend qu’on est retenu pour la mission. On est appelé en urgence. À l’époque, on possédait des bipeurs. La mission se déclenche et on est fier d’avoir été retenu. Vient ensuite la phase de préparation qu’on appelle aussi la phase de frigo parce qu’à partir de ce moment-là, on n’a plus un seul contact avec l’extérieur jusqu’au retour de mission. Ta mère, ton père, ta chérie, plus personne ne peut te joindre, que ce soit pour 24 heures ou pour deux mois. Enfin, il y a la phase d’exécution de la mission. C’est uniquement de la concentration à ce moment-là. Tout a été pris en compte, tout a été planifié. Nous sommes des machines de guerre.

Vous avez quitté le commando Hubert il y a neuf ans maintenant. Pourtant, il semble toujours vous habiter. Finalement, votre passion, c’est le commando ?

[Sourire]. J’ai très rapidement su que je voulais être un marine et plus encore : un nageur de combat. Je me souviens, quand j’étais à l’école, une de mes professeurs d’histoire-géographie me reprenait souvent et me disait : « Ludovic, arrête de foutre le bordel ! » Je n’aimais pas l’histoire. Une fois, je lui ai rétorqué : « Moi, je veux entrer dans la marine madame. » Ce à quoi elle m’a répondu, ironiquement : « Tu s’ras bon qu’à couler des bateaux ! » Eh bien oui, elle avait raison, il faut croire que c’était ma vocation ! [Rires].

Propos recueillis par Lucas Bidault.

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