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César Marchal le

Amaury Leveaux : de l’entraînement drastique au transat, de l’or olympique au golden visa, de Belfort à Dubaï

Champion olympique du relais 4×100 mètres nage libre en 2012, Amaury Leveaux détient l’un des plus beaux palmarès de la natation française mais ne nage plus. Resté célèbre pour son franc-parler, sa désinvolture et un livre gentiment sulfureux sur son milieu, le presque quadragénaire s’est assagi loin des bassins, a coulé puis lancé un business et n’a rien perdu de sa verve.

Texte : César Marchal
Photographies : Frankie & Nikki

Plonger dans l’eau encore vêtu pour obtenir une bonne photo ne pose pas de problème à Amaury Leveaux, mais alors la charge du pressing reviendra à Sphères et il prévient : « J’ai plus le body de Carlos que celui de Schwarzy. » Il exagère. Ou alors, c’est l’ancien champion olympique de natation en lui qui se juge trop durement. Bien sûr, à 39 printemps, Leveaux n’arbore plus sa musculature de 2012, année de son sacre londonien au relais 4×100 mètres nage libre. Mais fin juin, quand il s’installe devant un café à l’hôtel parisien Les Bains, sa tenue sobre et noire laisse deviner 105 kilos bien répartis sur sa carcasse de 2m02 dont l’envergure, bras tendus, atteint les 2m20. Ça pourrait être intimidant, ça ne l’est pas tant. Peut-être parce qu’Amaury a le sourire facile, la démarche désinvolte, le ton badin. Loin de cette image de fort en gueule, de bad boy que, dit-il, les médias lui ont collée, mais qu’il a aussi entretenue tout seul, comme un grand, avec la publication en 2015 chez Fayard d’une autobiographie au titre résolument racoleur : Sexe, drogue et natation : un nageur brise l’omerta.

        Parce qu’il constitue le point final d’une carrière (Amaury Leveaux a pris sa retraite sportive deux ans avant sa parution, en 2013), l’ouvrage est resté ce par quoi l’on identifie l’athlète, bien qu’il ne contienne en fait que peu de révélations majeures. On apprend qu’au moins un nageur a fréquenté une prostituée à Pékin, en 2008, que d’autres prennent de la coke, et que lors des Jeux de Londres un « beau gosse de l’équipe de France » en a sniffé un rail « entre les seins de l’attachée de presse d’une boîte de nuit ». Bon. Il est dit aussi qu’Amaury a vécu avec Laure Manaudou un amour secret, jamais consommé, que les membres du Centre des nageurs de Marseille l’agacent parce qu’ils ont le melon ou qu’en 2004 il a, par défi, mangé cent nuggets aussitôt régurgités. Ah. Quelques questions sur le dopage demeurent sans réponse : pourquoi le Brésilien Cesar Cielo, multiple champion du monde et champion olympique, contrôlé positif en 2011, n’a-t-il jamais été condamné ? Et pourquoi les nageurs chinois se sont-ils mis à gagner subitement aux Jeux de Pékin de 2008 ? Parmi ce déballement, une information de valeur, hélas peu approfondie, perce. Amaury narre qu’une nageuse russe, ancienne élève de Philippe Lucas, lui décrit comment son équipe nationale échappait aux contrôles : « Chaque nageur était “doublé” par un autre qui portait le même nom sur son passeport. C’est la doublure, cantonnée dans sa chambre d’hôtel et vierge de tout produit interdit, qui se présentait à la place de celui qui venait de terminer l’épreuve, sans que les officiels ne s’aperçoivent de quoi que ce soit. »

         Jusque-là, la lecture est davantage savoureuse que sulfureuse. Elle se fait plus épicée un peu plus loin, quand le natif de Delle, dans le Territoire de Belfort, se paye la Fédération française de natation (FFN), présentée comme une bande de « dinosaures » qui « écument les bons restos et sifflent des grands vins » et « presse[nt] les nageurs comme des citrons avant de les jeter à la poubelle quand ils arrivent en fin de carrière ». Cette prise de position n’a pas éclairci son avenir. Dix ans plus tard, un Amaury assagi, à la veille de la quarantaine, concède avoir poussé le bouchon un peu trop loin : « Si c’était à refaire, je le ferais complètement différemment. Ça m’a coûté très cher. Après sa parution, le livre m’a fermé 95% des portes en l’espace de deux mois. Je m’excuse auprès de quelques personnes qui se sont senties visées. C’était un peu trop brut. »

Loin des bassins

Trop brut, mais pas dénué de sens non plus. Selon Amaury, il y avait de réels dysfonctionnements, par exemple le nombre d’encadrants en déplacement sur les compétitions, bien plus élevé que celui des athlètes. Anecdote illustrative : en 2004, aux championnats d’Europe de Madrid, un employé de la fédé s’était emparé de son survêt’ XXL. Les 2m02 d’Amaury Leveaux ne trouvant plus sape à leur taille, il avait demandé à ce que le survêt’ lui soit retourné. Ce qu’il fut, auréolé d’une odeur de transpiration. « Je l’ai mis dans une armoire, j’ai vidé un flacon de déo Axe dessus, puis j’ai fermé l’armoire et je l’ai récupéré le lendemain, rigole le nageur. Résultat, il sentait la transpi et le déo. »

© Frankie & Nikki
© Frankie & Nikki
© Frankie & Nikki

Et puis, la FFN d’antan ne se préoccupait pas, selon lui, des bonnes choses, notamment du confort des athlètes. Seconde anecdote : « Une fois, j’ai pris un billet d’avion en business pour me rendre à une compétition, alors que la fédé ne nous défrayait qu’un billet éco. Mais j’ai évidemment payé la différence. Et mon coach m’a mis la misère, en me gueulant dessus : « Mais qu’est-ce que tu fais là, tu te prends pour qui ? » » Globalement, le nageur admet que ça allait de mieux en mieux lorsqu’il est parti, en 2013. C’est simplement que sa génération a essuyé les plâtres. Ou, comme il dit lui : « On a fait avec rien. » Aujourd’hui, il aimerait que les anciens soient davantage mis à contribution – « je ne dis pas ça pour moi, ma vie est bien chargée, j’ai une femme, deux enfants et une entreprise à lancer » – et que le sport ne soit pas géré par l’État mais par le privé. Cela mis à part, il se dit incapable de pointer de quoi la natation française aurait besoin, pour la bonne raison que cela fait trop longtemps qu’il se tient loin des bassins.Amaury ne nage plus. Il a tant baigné dans l’excellence, le dépassement de soi, la performance pure et dure qu’il ne trouverait aucun plaisir, aujourd’hui, à retourner dans une piscine. « J’en ai tellement bavé à l’entraînement… », lâche-t-il. Un documentaire « Intérieur sport », diffusé sur Canal + en 2012, montrait ses quatre dernières semaines de préparation avant les Jeux de Londres. En le visionnant, on s’aperçoit rapidement que Philippe Lucas ne lui laisse pas un centimètre de mou. Au Lagardère Paris Racing, où il évolue, il faut nager, nager, nager, vite et longtemps, 17 à 18 kilomètres par jour. Et quand Amaury débarque comme une fleur après avoir manqué une matinée de boulot, l’entraîneur légendaire, pas franchement du genre à prendre des gants, l’ensevelit sous un tombereau d’insultes, devant ses camarades d’entraînement. Coach et coaché avouent face caméra avoir voulu plusieurs fois en venir aux mains. Bref, c’était pas l’éclate tout le temps.

La suite de cet article est à découvrir dans Sphères N°21 : les nageurs

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Les nageurs
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