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César Marchal le

 « Brouiller les lignes du masculin et du féminin » – Entretien avec Hugo Marchand

La scène interdit souvent à Hugo Marchand le port de bijoux, du fait des risques qu’il implique. Mais le danseur étoile de 32 ans se rattrape à la ville, où ses boucles d’oreille, bagues et bracelets fétiches ne quittent jamais sa peau.

En début d’année, l’Opéra a organisé une exposition autour de ses bijoux, mettant en avant entre autres un bracelet en forme de serpent de Camille Saint-Saëns, ou des coiffes dorées à plumes violettes pour L’Africaine de Giacomo Meyerbeer. Est-ce que vous avez déjà porté des bijoux sur scène, à l’Opéra ?

HM : Rarement ! Tout simplement parce que les bijoux sont souvent réservés aux rôles féminins. Parfois, on a des coiffes ou des costumes avec des broderies en métal. Mais ce sont les danseuses qui portent des diadèmes, des colliers, des choses rajoutées sur les tutus. Pour les hommes, il y a assez peu de bijoux. 

Comment expliquez-vous cela ? Est-ce parce que c’est trop contraignant ou plutôt qu’historiquement, il y avait moins de bijoux pour les hommes ?

HM : Historiquement, je ne pense pas car les hommes portaient beaucoup de bijoux autrefois. C’est plutôt notre époque qui est devenue frileuse, avec même un peu de jugement sur les hommes qui en portent. Pourtant, depuis des centaines d’années, les hommes le font.

En fait, dans le cas de la danse, je pense que c’est pour des questions de praticité. Les bijoux, ce n’est pas forcément agréable sur les mains et ça peut même être dangereux. Surtout pour nous car on porte les danseuses, on danse avec elles et on utilise beaucoup nos mains. Puis on saute, on tourne, donc tout ce qui va venir gêner le mouvement peut tout de suite être assez embêtant. C’est peut-être lié au fait que le ballet a été inventé au XIXe siècle, donc à une époque où les hommes commençaient à porter beaucoup moins de bijoux.

À l’inverse, Louis XIV était absolument fanatique de diamants. Il pouvait en porter jusqu’à un kilo sur lui ou en offrir aux ambassadeurs. Est-ce que vous auriez aimé vivre cette période d’opulence ?

HM : J’aime les bijoux, mais je ne crois pas que ce soit une période que j’aurais aimé connaître. [Rires.] Je dois être honnête : la cour de Versailles avec les odeurs et tout ce que ça peut comporter, cette espèce de protocole hyper lourd, que, de temps en temps, je peux entrapercevoir parce que les grandes institutions ont gardé cette forme de déférence, je ne suis pas sûr que ça m’aurait plu. Ça m’aurait sans doute amusé un temps, parce que c’est une culture particulière, la recherche d’un style, d’une forme d’esthétisme, de beauté. Ça, c’est curieux et intéressant à observer.

Hugo Marchand porte un collier « Chaîne d’Ancre » en or jaune et un pendentif « Chaîne d’Ancre Aléa » en argent – HERMÈS © Aliocha Boi

Et sur l’opulence des joyaux ?

HM : Ça, ça m’aurait amusé : le côté mode, le côté tendance et esthétique. Forcément, c’est un peu curieux, étonnant.

Dans un ballet, quelle utilité ont les bijoux pour le public ? 

HM : Ce sont des marques d’identité. Un personnage se construit autour de plusieurs aspects : un mouvement particulier, une psychologie, une manière de se mouvoir, un costume, un maquillage, une musique… Et puis autour des bijoux, qui vont venir apporter cette touche encore plus singulière au personnage et lui donner une identité très précise. Ça permet aux danseurs de se glisser dans cette nouvelle peau avant d’entrer sur scène. 

Et c’est un enjeu pour vous d’avoir tous les attributs matériels du personnage pour l’incarner au mieux ?

HM : Forcément ! Après, comme je vous le disais, on n’a pas de bijoux quand on va danser. Mais il y a toute cette préparation au spectacle, cette anticipation pour se mettre dans le bon état d’esprit afin de raconter des histoires au public.

Vous incarnez le personnage de Quasimodo à partir de décembre, qui n’est pas vraiment réputé pour ses bijoux. Est-ce qu’il y en a un qui lui irait ? 

HM : Quasimodo, c’est un personnage monstrueux parce qu’il est difforme et bossu. Il fait peur et dégoûte un peu les gens. Pourtant, il a un cœur d’or avec une empathie énorme et de grandes valeurs humaines : il est très doux, naïf, candide. C’est presque un jeune homme pur dans un corps de monstre difforme. Mais justement à cause de cette opposition entre ses valeurs et son physique, on ne pourrait pas lui donner de bijoux.

Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères métiers d’art N°1 : les joailliers

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Les joailliers
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