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César Marchal le

Les acrobates de Bouaké

À Bouaké, ville du centre de la Côte d’Ivoire, des jeunes issus des classes populaires multiplient les acrobaties cyclistes chaque dimanche, sous l’œil acéré de l’entraîneur Mamadou Coulibaly. Leur vélo est à la fois moyen de transport, de joie et d’émancipation.

Portfolio : Florent Bardos

Chaque dimanche à Bouaké, le même ballet se joue. Des dizaines de jeunes à vélo affluent de tous les coins de la deuxième ville de Côte d’Ivoire pour parcourir ensemble la route qui mène à l’aéroport, dans le quartier de Beaufort. Par grappes, ils dévalent alors la pente douce, certains sur la roue arrière, d’autres les deux pieds sur la selle. Car ici, les saltimbanques en herbe viennent parfaire leurs acrobaties sous la tutelle de Mamadou Coulibaly. Le quinquagénaire, président de l’association des cascadeurs à vélo de Bouaké, scrute chaque semaine pendant plus de deux heures leurs concours de cabrage, leurs sauts par-dessus des camarades allongés au sol et leurs zigzags en roue arrière, parfois sur des centaines de mètres et sur des machines dépourvues de roue avant. Toutes les originalités sont bonnes à tenter, tant qu’elles permettent d’accroître et de prouver sa dextérité.

Les cascadeurs, âgés de 6 à 24 ans, sont élèves au primaire, collégiens, les plus vieux travaillent déjà comme vendeurs ambulants, pousseurs de brouette au marché ou artisans. « J’aime le vélo parce que tu peux partir partout avec ; même si tu n’as pas de voiture, tu peux le prendre et rouler jusqu’à arriver à ta destination », lance Ibrahim, 17 ans, coiffé d’un casque et d’une iroquoise. Vendeur de poulet braisé depuis 2021, l’adolescent gagne 30 000 FCFA (45 euros) par mois. Comme la plupart des gens ici, il s’est procuré sa monture au marché, où pullulent les « France au revoir », c’est-à-dire les bicyclettes envoyées en Afrique parce que plus personne n’en voulait en Europe, vendues ici entre 35 000 et 50 000 FCFA (53 à 75 euros). Sacrée somme pour des jeunes issus de classes populaires. Sans compter les réparations : « Le vélo comme on le fait nous n’est pas très développé à Bouaké, donc c’est dur de trouver les pièces, poursuit Ibrahim. Quand je vais au marché, je montre des photos pour faire comprendre au vendeur ce dont j’ai besoin, mais le prix est très élevé. » Reste que, dans un pays où le vélo sert encore essentiellement à remplacer une moto que l’on n’aurait pas les moyens de se payer, ça vaut le coup. Et puis, aucun club sportif n’existant à Bouaké, les heures passées à caracoler sont parfois les seules volées à un quotidien morne. Qu’importe donc l’état général du vélo et son prix élevé, l’essentiel, c’est qu’il roule. Pour le reste, la débrouille est le maître mot.

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Collection Sphères
Les cyclistes
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