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César Marchal le

Première lame

Entretien avec Marie-Amélie Le Fur, multiple championne paralympique et présidente du Comité paralympique français.

Depuis un violent accident de scooter à l’âge de quinze ans, Marie-Amélie Le Fur vit avec un membre en moins : la jambe gauche, amputée juste au-dessous du genou. Quatre mois après cet accident, elle reprend pourtant la course. Cinq ans plus tard, elle est double médaille d’argent (saut en longueur et 100 mètres) aux Jeux paralympiques de Pékin (2008). Elle glane ensuite trois médailles d’or et deux d’argent lors des olympiades de Londres (2012), Rio (2016) et Tokyo (2021). 

À partir de décembre 2018, la Vendômoise (Loir-et-Cher) de 35 ans est également présidente du Comité paralympique et sportif français. Cette double casquette, couplée à un corps qui fatigue, l’amène à prendre sa retraite après les Jeux de Tokyo, renonçant ainsi à ceux de Paris. Marie-Amélie Le Fur assume sa décision : “C’était un choix, je n’ai aucun regret.” Aujourd’hui, l’ancienne championne se réjouit de la considération nouvelle autour du monde paralympique, insiste sur le rôle des marques et de l’État et critique sans fard un encadrement technique national qui a pesé sur ses dernières années de compétition.

Les Jeux paralympiques de Paris vont concentrer l’attention pendant onze jours, du 28 août au 11 septembre. Selon vous, s’intéresse-t-on aux para-athlètes pour leurs performances ou uniquement pour leurs différences ? 

Ça dépend de plusieurs facteurs : le sport concerné, l’athlète ou encore le média qui va raconter l’histoire. Sur les dernières années, il y a eu une évolution considérable de la narration de la performance paralympique. Pendant longtemps, le narratif autour des para-athlètes ne concernait que leur handicap. Aujourd’hui, on s’intéresse à la façon dont ils s’entraînent. Ils sont quasiment traités à égal des sportifs olympiques, donc ça va dans le bon sens. 

Cela vaut pour tous les types d’handicap ? 

Non, en effet, ça reste circonscrit à certains handicaps seulement. En général, ce sont les plus légers et ceux qui vont avoir l’atteinte motrice la plus modérée. Le défi est donc de réussir à généraliser cette vision positive que nous avons du handicap dans le sport. Il faut faire en sorte que ça ne soit plus l’affaire de quelques-uns uniquement.

La France donne-t-elle suffisamment de moyens à l’univers paralympique ? 

Depuis les dix dernières années, il y a eu un soutien renforcé de la part de l’État. Les finances ont été multipliées par trois sur la branche haute performance paralympique depuis 2015. Il faut aussi noter le soutien des partenaires privés : le sponsoring des para-athlètes décolle. Attention, là encore, pas de façon égale pour tous les sports et pour toutes les typologies de handicap. Mais il est possible de faire du marketing autour de la pratique sportive des para-athlètes et ça, c’est nouveau. Cela signifie que les marques ont appris et compris comment communiquer autour des para-athlètes. Et puis, il y a aussi l’engagement des collectivités et des territoires. Que cela soient les villes, les départements ou encore les intercommunalités, tous soutiennent la pratique du sport paralympique.

« Les marques ont appris et compris comment communiquer autour des para-athlètes. »

Marie-Amélie Le Fur

Vous parlez justement du discours marketing des entreprises autour des para-athlètes. Comme on parle de « greenwashing » pour désigner une action de marketing utilisant l’argument écologique de manière trompeuse pour améliorer son image auprès du public, n’est-ce pas une forme “d’handicap-washing” ? 

Ça va dépendre de la marque, de son action de sponsoring ou encore de la raison d’être du marketing d’entreprise. Certaines entreprises vont insister sur la performance, d’autres sur le champ de la diversité à travers un sponsoring inclusif portant des  valeurs nouvelles liées à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Mais là encore, c’est bénéfique, car les para-athlètes peuvent enfin monétiser leur image. Il faut savoir que les fédérations ne peuvent pas encaisser intégralement les  coûts des préparations physiques des sportifs de haut niveau. Et c’est un marketing qui fonctionne bien auprès du grand public.

Est-il possible de vivre de son sport quand on est un para-athlète ? 

Oui, certains y parviennent, notamment grâce aux aides données par l’État et par les fédérations. Il faut savoir que tout athlète paralympique et olympique étant présent dans le cercle haute performance, c’est-à-dire potentiellement médaillable sur les Jeux de Paris, a un salaire garanti à hauteur de 40 000 € par an. C’est un revenu décent permettant aux athlètes de top niveau d’avoir une sécurité financière si jamais ils ne parviennent pas à la trouver ailleurs. Mais beaucoup d’athlètes vivent aujourd’hui de leur image et des conférences qu’ils donnent en entreprise. 

Pour les sportifs absents du cercle haute performance, comment cela se passe-t-il ? 

Il y a une grosse hétérogénéité au niveau de cette petite zone dans laquelle se trouve des athlètes qui n’ont pas encore atteint le très haut niveau et qui auraient pourtant besoin de ce type de soutien. C’est essentiel car dans certains sports, il faut faire le tour du monde pour gagner des points et ça coûte cher. Il faut aider ces athlètes et leur permettre de trouver une place notamment auprès des partenaires privés, en rappelant aux entreprises qu’aider un sportif de haut niveau, ça ne passe pas forcément pas de gros contrats. On peut accompagner un athlète avec une aide à hauteur de 500, 1 000 ou 1 500 €, ce qui changera considérablement sa saison en lui permettant de payer sa préparation physique ou mentale.

[Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères N°16 : les athlètes olympiques]

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