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César Marchal le

Rendre sa langue au chat – Entretien avec l’écrivaine Nathalie Quintane

Dans « Chemoule, un chat français » (P.O.L, 2025), Nathalie Quintane raconte sans logique narrative des fragments de vie féline à la première personne. Une autobiographie en langue chat, qui incorpore fantaisie et politique.

Qui est Chemoule ? Et pourquoi ce nom ?

Chemoule ? Elle est là, pas loin, elle miaule beaucoup et elle a 22 ans. Elle retrouve la forme alors que le véto m’a dit qu’elle ne passerait pas l’été. Je ne me souviens même plus pourquoi je lui ai donné ce nom. Comme je l’explique dans le livre, on pensait que c’était un mâle au début, donc on l’a appelée Michel Poniatowski. Je crois d’ailleurs que Chemoule, c’est un verlan bizarre de Michel. Ce n’est même pas une félinisation du mot « semoule », c’est juste un petit nom qu’on donne et qui se modifie au fur et à mesure du temps.

Par quoi faut-il commencer pour écrire en langage chat ?

Ah ! [Elle réfléchit.] Il faut avoir envie de faire une pause. Et se lasser un peu. Quand quelque chose me vient pour écrire un nouveau livre, c’est souvent à contrepied du précédent. Tout va bien se passer [son précédent ouvrage publié en 2023 chez P.O.L, ndlr] a exigé du temps, beaucoup de travail en amont, des recherches, de la concentration… C’est un livre qui m’a demandé beaucoup. Chemoule est venu comme une sorte de vacance. Oui, c’est ça, comme des vacances de l’écriture. Je n’ai jamais eu l’intention de l’écrire à la troisième personne, c’est-à-dire à distance. La première personne m’est venue tout de suite parce que ça m’amusait plus, et que je trouvais cela logique. Et dès que je me suis mise à écrire à la première personne, le reste m’est venu naturellement.

© Stephen Loye – Avec l’aimable autorisation des éditions P.O.L.

De quoi faut-il parler, en langue chat ? Et pourquoi du caca ?

[Rires.] Évidemment, ce livre n’est pas dans une langue particulièrement châtiée et classique, ce qui est le cas d’autres livres semblables, par exemple Le Chat Murr (1819) d’Hoffmann, qui utilise une langue très littéraire, savante. Je n’avais pas envie de faire quelque chose comme ça, il fallait que ce soit du direct. Ce que j’écris depuis que j’écris, c’est souvent des observations presque littérales des objets, des comportements. Mon premier livre s’appelle Remarques (1997, Cheyne) : il parle de la maison, de la voiture, de la manière dont on marche, du bruit que ça fait quand on se gratte… Je suis revenue à cela avec Chemoule. Comme c’est un chat qui parle, il me fallait prendre la parole comme un chat et décrire ce qui le préoccupe. Je suis avec Chemoule depuis 22 ans, je m’en suis tenue à ce que j’observais chez elle : dormir, manger… et les problèmes de litière. [Rires.]

Ça donne donc des choses comme : « Est-ce que je vais chier ? Oui, non, non-oui. On verra plus tard. Finalement, après mûre réflexion, je franchis le rebord de ma caisse, je m’assois dans le gravier, je me contracte et je le sors avec facilité. Je le constate, je l’inspecte, je lui tourne le dos et je l’enterre, je lui fais une sépulture. »

[Rires.] Pour éviter la grande littérature, je voulais une littérature à hauteur de chat. Il y a des passages qui sont d’ailleurs littéralement à hauteur de chat, par exemple quand Chemoule se balade sur le chemin et voit arriver la voiture, je me suis mise dans la peau d’un animal qui évolue à vingt centimètres du sol.

Le parler chat, c’est aussi une variation de thèmes constante. On passe du coq à l’âne, du vomi chaud au merle énervant car hors de portée, de la chaise douillette à la contemplation du feu, de la chasse frénétique à cette magnifique ode au poêle à bois : « Ô bois bois bois / ô bois ô bois ô bois. »

[Rires.] Je ne voyais pas Chemoule écrire un roman avec un début, un milieu et une fin. On a l’impression que le chat est toujours dans le présent, c’est d’ailleurs ce qui est fascinant. Et  je voulais garder ça. Donc ça signifie passer d’une chose à l’autre, sans mise en perspective et même sans mémoire réelle, même si je fais allusion aux autres chats qu’elle a côtoyés dans le passé. Mais franchement, sa mère et sa grande sœur ne sont plus là et je dois dire que dès le lendemain, elle n’avait pas trop l’air de s’en préoccuper. [Rires.] Ça m’a sans doute fait plus de peine qu’à elle. Mais oui, cette idée des fragments, de la discontinuité, c’était aussi pour rendre compte de cette vie au présent.

[Cet article est à retrouver en intégralité dans Sphères n°22 : les chats et nous]

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Les chats et nous - Couverture 1
20 €
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