Soyez drôle, ne souriez pas – Entretien avec Martin Parr
La légende de la photo Martin Parr revient sur sa manière de travailler, défend la pertinence du livre photo, assume ses productions controversées pour la mode et revendique sa détestation du sourire photographié.
Légende vivante de la photographie, Martin Parr a derrière lui plus de cinquante ans de carrière, 120 livres publiés, 12 000 collectionnés, et d’innombrables expositions. Ancien président de l’agence Magnum, dont il est encore membre, consacré Master of Photography 2023 à Londres, le Britannique de 72 ans croque les mœurs du monde occidental avec humour, satire, ironie et comme il dit, « espièglerie. » Tourisme de masse, couples qui s’emmerdent, nouveaux riches, obsession des selfies… Tous les travers contemporains voient leurs contrastes exploser, leurs couleurs éclater une fois capturés par son objectif, un phare qui braque sur eux une lumière crue, flashée, même de jour.
Depuis Bristol, en Angleterre, où il a installé sa fondation qui vise à promouvoir des photographes émergents travaillant sur le Grande-Bretagne, Martin Parr revient sur sa manière de travailler, défend bec et ongles la pertinence du livre photo, assume ses productions controversées pour la mode et revendique sa détestation du sourire photographié. Il dit, aussi, son amour pour l’humour, qu’il recherche partout et, manifestement, trouve souvent.
J’aimerais vous parler d’une photo qui capture l’essence de Martin Parr, l’homme, le mythe, la légende. Cela ne vous surprendra pas, c’est un portrait de vous. Peut-être que vous pourriez nous dire dans quelles circonstances il a été pris ?
Martin Parr : Ah, je la reconnais celle-là, oui ! Je l’ai faite dans un studio à Dubaï. C’était il y a quelque temps, parce que comme vous pouvez le voir, mes cheveux sont bruns dessus, alors qu’ils sont gris aujourd’hui. C’est un photographe qui faisait ces photos pour la communauté indienne, afin que les gens puissent envoyer des photos à leurs femmes et à leurs familles. Il avait beaucoup de graphismes farfelus, cette disposition-là en faisait partie, je l’ai trouvée assez intrigante, alors je l’ai choisie.
Et l’autre Martin Parr mis à l’arrière-plan ?
C’était juste une option proposée par le photographe, je me suis dit qu’elle était bien, et je lui ai demandé de la mettre. [Rires.]
Si vous étiez en face de cet homme aujourd’hui, lui diriez-vous que son costume est un « fashion faux Parr » [le titre d’un de ses derniers livres photographiques, paru en 2024 chez Phaidon, ndlr] ?
[Rires.] N’oubliez pas que je ne porte pas de vrai costume ici, c’est un costume numérique ! Le photographe a juste fait apparaître mon visage sur le modèle.
Pourquoi ne souriez-vous pas sur vos portraits ?
Je ne souris jamais sur mes portraits parce que je pense qu’il est plus drôle de ne pas sourire.
Vous avez publié plus d’une centaine de livres de photos. Êtes-vous à ce point avide d’argent ou y a-t-il une autre motivation ?
[Rires.] La plupart des livres que je publie ne me rapportent pas beaucoup d’argent. Je les fais parce que j’en ai envie, c’est juste une façon géniale de diffuser mon travail et j’en suis très heureux.
Vous avez collectionné, je crois, plus de 12 000 livres photographiques.
Oui, mais j’en ai donné une grande partie au Tate Museum, et il ne m’en reste plus que 5 000 aujourd’hui.
Pourquoi des livres photo en particulier, et pourquoi les collectionnez-vous ?
Les livres photo sont le meilleur moyen de juger la culture photographique. À ce sujet, Gerry Badger et moi avons publié chez Phaidon une histoire du livre photo en trois volumes, qui sont sortis en 2004, 2006 et 2014, parce que nous pensions que le statut du livre photo était très peu représenté. Je pense que l’on peut en apprendre beaucoup sur l’histoire de la photographie à travers les livres. Et je pense qu’avant cela, la plupart des personnes qui écrivaient l’histoire de la photographie ignoraient les livres et ne leur donnaient pas le statut qu’ils méritaient.